Actualités jurisprudentielles Octobre 2023

Actualités jurisprudentielles Octobre 2023
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Pour ce mois d’octobre, vous trouverez tout d’abord une sélection d’arrêts autour du thème central de la rupture du contrat de travail; puis d’autres arrêts sur des thématiques plus variées, mais non moins importantes.

Pour ce mois d’octobre, nous avons sélectionné quelques jurisprudences centrées d’une part sur le thème de la rupture du contrat de travail, thème qui alimente toujours abondamment la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, et, d’autre part, quelques arrêts de jurisprudence choisis autour de thèmes plus variés tels que les modalités de détermination de la rémunération variable, les limites au pouvoir de sanction de l’employeur et enfin la preuve des heures supplémentaires.

Rupture du contrat de travail

Licenciement postérieur à une naissance

Cass. soc du 27 septembre 2023, n°21-22.937

Ce qu’il faut retenir

Le licenciement d’un salarié durant les dix semaines qui suivent la naissance de son enfant est nul si les manquements professionnels invoqués dans sa lettre de licenciement ne caractérisent ni une faute grave ni une impossibilité de maintenir son contrat de travail pendant cette période. 

Le cas détaillé n°1

Un salarié est licencié pour cause réelle et sérieuse deux semaines après la naissance de son enfant. Estimant que la rupture de son contrat de travail est intervenue pendant la période de protection prévue à l’article L. 1225-4-1 du Code du travail, il saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la nullité de son licenciement.

La cour d’appel fait droit à la demande du salarié et juge le licenciement nul.

L’employeur se pourvoit en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et approuve la décision de nullité du licenciement. Elle rappelle de manière très claire, qu’aux termes de l’article L. 1225-4-1 du Code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines qui suivent la naissance de son enfant, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

Par cet arrêt, la Cour de cassation reste fidèle à une position jurisprudentielle constante.

En l’espèce, l’employeur aurait dû repousser l’engagement de la procédure de licenciement après l’expiration de la période des dix semaines. Il aurait même pu, selon une décision jurisprudentielle de 2020 (Cass.soc. 30-9-2020, n°19-12.036), préparer le licenciement pendant la période de protection, notamment en convoquant le salarié à l’entretien préalable et en menant cet entretien, la seule exigence étant que le licenciement soit notifié après la période des dix semaines.

Licenciement d’une salariée enceinte ayant adhéré à un CSP

Le cas détaillé n°2

Cass. soc., n° 21-21.059 du 4 octobre 2023

Une salariée, en état de grossesse médicalement constatée, adhère à un CSP et voit son contrat de travail rompu pour motif économique à l’issue du délai de réflexion de 21 jours dont elle disposait.

Invoquant la nullité de son licenciement au regard de son état de grossesse, elle saisit la juridiction prud’homale.

Les juges d’appel donne raison à la salariée en s’appuyant sur l’article L.1225-4 du Code du travail qui protège la salariée enceinte de toute rupture de son contrat de travail pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit. 

L’employeur se pourvoit en cassation. En effet, il soutenait que l’acceptation d’un CSP par une salariée en congé maternité emportait rupture d’un commun accord du contrat de travail qui l’exonérait de justifier de l’existence d’une faute grave commise par la salariée ou de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour la licencier. 

Rejetant l’argumentation de l’employeur, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et retient d’une part, que, à la date d’expiration du délai dont elle disposait pour prendre parti sur la proposition d’un CSP, la salariée était en état de grossesse. Or, la salariée, en état de grossesse médicalement constaté à la date d’expiration du délai de 21 jours dont elle dispose pour décider d’adhérer ou pas à un CSP, bénéficie de la protection de l’article L.1225-4 du Code du Travail.

D’autre part, La Cour de cassation rappelle que l’adhésion à un CSP constitue une modalité de licenciement pour motif économique et non une rupture conventionnelle ou une impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

Enfin, à défaut d’énoncer dans la lettre de licenciement les motifs acceptés de licenciement d’une salariée enceinte, à savoir la faute grave ou l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse, le licenciement est frappé de nullité.

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Modalité d’assistance du seul représentant du personnel de l’entreprise

Conseil d’Etat. 13 octobre 2023, n° 467113

Ce qu’il faut retenir

L’unique représentant du personnel de l’entreprise, convoqué à un entretien préalable, peut se faire assister par un conseiller extérieur.

Le cas détaillé

Un employeur convoque à un entretien préalable le seul représentant du personnel de l’entreprise. Dans la convocation, il mentionne simplement qu’il peut se faire assister par un salarié de l’entreprise. La veille de l’entretien, il lui est  précisé que, compte tenu du fait qu’il est le seul représentant du personnel, il peut également se faire assister par un conseiller extérieur comme les salariés qui appartiennent à des entreprises dépourvues d’instance représentative du personnel. Le salarié se présente donc à l’entretien assisté d’un conseiller extérieur.

L’administration refuse d’autoriser son licenciement au motif que la procédure est irrégulière, car la convocation ne mentionnait pas que le salarié pouvait se faire assister par un conseiller extérieur.

L’employeur forme un recours.

Le Conseil d’État, saisi de la question, approuve la décision de l’administration et confirme la possibilité d’une assistance par un conseiller extérieur lorsque le salarié concerné est le seul représentant du personnel. Il précise cependant que cette possibilité peut être rappelée au salarié ailleurs que dans la convocation à entretien préalable, mais doit l’être suffisamment tôt pour que le salarié puisse s’organiser, ce qui n’était pas le cas en l’espèce

Ainsi, lorsque le salarié convoqué à un entretien préalable au licenciement est l’unique représentant du personnel, il convient d’agir comme dans une entreprise dépourvue d’instances représentatives du personnel.

L’employeur doit donc informer l’intéressé qu’il peut se faire assister par un conseiller extérieur.

Action en résiliation du contrat de travail

Cass. Soc. 27 septembre 2023 , n°21-25.973

Ce qu’il faut retenir

L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n’a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande.

Le cas détaillé

Une salariée est placée en invalidité deuxième catégorie en 2009. N’ayant pas bénéficié d’une visite de reprise auprès d’un médecin du travail, la salariée saisit la juridiction prud’homale en 2015 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. 

Pour rappel, lorsqu’un  salarié informe son employeur de son classement en invalidité 2ème  catégorie, l’employeur doit faire procéder à une visite de reprise, sauf si le salarié manifeste expressément, de manière claire et non équivoque, sa volonté de ne pas reprendre le travail. C’est cette visite de reprise qui met fin à la suspension du contrat de travail.

La cour d’appel, considérant comme prescrite la demande en résiliation judiciaire, la déclare irrecevable . 

La salariée se pourvoit en cassation

La Cour de cassation est donc amenée à se prononcer sur la limitation dans le temps de la recevabilité des manquements invoqués par le salarié ou sa prescription.

La Chambre sociale, dans cet arrêt, retient que l’argument de la prescription des faits invoqués ne permet pas de rejeter la demande en résiliation judiciaire de la salariée et que la résiliation judiciaire est envisageable tant que le contrat n’est pas rompu et ce, quelle que soit la date des faits incriminés.

À lire également :

Rémunération variable

Obligation de transparence de l’employeur

Cass.soc. 27 septembre 2023, n°22-13.083

Ce qu’il faut retenir

L’employeur doit impérativement mettre le salarié en capacité de vérifier le calcul de sa prime sur objectifs et ce, dès le début de l’exercice.

Le cas détaillé

Des salariés voient leur rémunération variable fixée en fonction d’objectifs en application d’un engagement unilatéral de l’employeur. Les salariés n’étaient pas informés de ces objectifs ni de leurs modalités de fixation. En effet, l’employeur justifiait que, compte tenu du contexte concurrentiel, il s’agissait de données discrétionnaires et confidentielles

La question posée à La Cour de cassation est celle de savoir si l’employeur peut cacher au salarié un des paramètres de fixation de sa rémunération variable sous le prétexte de la confidentialité ? 

La Cour de Cassation répond négativement et rappelle que, lorsqu’elle est payée en vertu d’un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire obligatoire pour l’employeur dans les conditions fixées par cet engagement. Seule une clause précise, qui définit objectivement l’étendue et les limites de l’obligation souscrite, peut constituer une condition d’application d’un tel engagement. Il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues. 

L’employeur doit donc impérativement mettre le salarié en capacité de vérifier le calcul de sa prime sur objectifs et ce dès le début de l’exercice et ne peut pas garder secrète une des données permettant au salarié de connaître le calcul de sa rémunération variable.

Langue utilisée dans la détermination de la rémunération variable.  

Cass. Soc. 11 octobre 2023, n° 22-13.770

Ce qu’il faut retenir

La détermination de la rémunération variable contractuelle du salarié doit être rédigée en français, sauf documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers.

Le cas détaillé

Un salarié reproche à son employeur, filiale française d’un groupe américain, de lui avoir communiqué en langue anglaise, exclusivement, les objectifs nécessaires à la détermination de sa rémunération variable, et estime, de ce fait, d’une part, que les objectifs de ce plan de rémunération variable lui sont inopposables et que, d’autre part, la société doit lui verser la totalité de cette rémunération variable.

La Cour d’Appel déboute le salarié de sa demande et souligne que la langue anglaise est utilisée dans cette entreprise, filiale d’un groupe américain.

Le salarié se pourvoit en cassation

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle le principe, énoncé à l’article L.1321-6 du Code du travail, selon lequel tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français, sauf s’il est reçu de l’étranger ou destiné à des étrangers, y compris si la langue utilisée dans l’entreprise n’est pas le français (par exemple l’anglais). À défaut, le document est inopposable au salarié.

La Cour retient donc, d’une part, qu’en l’espèce, les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle n’étaient pas rédigés en français, et d’autre part, que les juges d’appel n’avaient pas vérifié si ce plan de rémunération variable avait ou non été reçu de l’étranger.

Par conséquent, il ne pouvait pas être opposable au salarié. 

Limite au pouvoir de sanction de l’employeur

Cass. Soc. 4 oct. 2023 n°21-25421

Ce qu’il faut retenir

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Le cas détaillé

Un salarié commet, avec le véhicule que l’employeur met à sa disposition pour l’exercice de son activité professionnelle, quatre infractions au code de la route, pendant le trajet qui le conduit à son lieu de travail. Il est licencié pour faute grave par l’employeur qui considère que ces faits se rattachent à la vie professionnelle du salarié et découlent de son contrat de travail .

Le salarié, soutenant que le temps de trajet n’est pas du temps de travail effectif, saisit la juridiction prud’homale. 

La Cour d’appel donne raison au salarié et rappelle que le salarié n’était pas à la disposition de l’employeur pendant son temps de trajet et que son comportement n’avait aucune incidence sur ses obligations professionnelles. 

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et retient que ces infractions au code de la route relèvent de la vie personnelle du salarié et ne peuvent pas justifier son licenciement disciplinaire.  

Heures supplémentaires

Cass. soc., 11 octobre 2023, n°21-24.168

Ce qu’il faut retenir

La preuve des heures supplémentaires ne pèse pas sur le seul salarié.

Le cas détaillé

Une salariée est déboutée de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires par une Cour d’appel pour les raisons suivantes :

  • Les mails portant heure d’arrivée et de départ envoyés par la salariée à elle-même ne permettent pas de s’assurer qu’elle fournissait un travail effectif entre ces deux heures.
  • Le faible nombre d’heures supplémentaires réclamées ne permettent pas de considérer que l’employeur avait conscience de l’accomplissement de ces heures supplémentaires et que la salariée avait l’autorisation expresse ou implicite de l’employeur d’effectuer ces heures.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et, fidèle à sa position sur le sujet, rappelle, à nouveau, que l’absence d’autorisation expresse ou implicite de l’employeur pour réaliser des heures supplémentaires ne peut pas à elle seule faire échec à la demande du salarié et que la charge de la preuve des heures supplémentaires ne pèse pas sur le seul salarié.

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.