Actualités jurisprudentielles Septembre 2023

Actualités jurisprudentielles Septembre 2023
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Comme chaque rentrée, l’activité jurisprudentielle de la Chambre sociale de la Cour de cassation est dense. Nous vous invitons à découvrir sans tarder les dernières décisions de la Cour, dont un revirement de jurisprudence particulièrement intéressant.

Une rentrée jurisprudentielle très chargée avec une actualité particulièrement remarquable, dont un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en matière de congés payés du salarié malade dont nous parlerons en détail. Nous aborderons également deux jurisprudences intéressantes sur la recevabilité des types de preuve, apportées par l’employeur, pour sanctionner un salarié. Enfin, nous évoquerons deux jurisprudences concernant le lanceur d’alerte d’une part, et d’autre part, le point de départ du délai de convocation à l’entretien préalable.

Tour d’horizon des arrêts choisis pour ce mois de septembre .

Droit aux congés payés pendant un arrêt maladie : harmonisation du droit français sur le droit européen

Cass.soc.  n° 22-17.340n° 22-17.638 et n° 22-10.529du 13 septembre 2023

Ce qu’il faut retenir

  1. Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.
  2. En cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail.
  3. La prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.

La Cour de cassation, à travers 3 arrêts rendus le 13 septembre 2023, opère un revirement de jurisprudence majeur concernant l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie afin de mettre en conformité le droit français avec le droit européen sur cette question. 

En effet, jusqu’à cette date, en droit français, en cas de maladie non professionnelle ou d’accident du travail, un salarié ne pouvait pas acquérir de jours de congés payés durant son arrêt de travail. 

Or, une directive européenne datant de 2003 prévoit que, lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congé payé. Le salarié continue donc à acquérir des congés même s’il est malade, peu importe l’origine de cette maladie. 

Le 13 septembre, la Cour de cassation a écarté les dispositions du droit français qui, selon elle, ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. 

Le cas détaillé

Arrêt 1 n° 22-17.340

Des salariés, atteints d’une maladie non professionnelle, sont dans l’impossibilité  de travailler. Par la suite, dans le calcul de leurs congés payés, ils incluent la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler. En application du droit de l’Union européenne dans sa directive de 2003, la Cour d’appel leur donne raison. L’employeur se pourvoit alors en cassation.

La Cour de cassation écarte les dispositions du droit français non conformes au droit de l’Union européenne et confirme la décision d’appel. Par un premier revirement de jurisprudence, elle juge donc que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle), ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler.

 Arrêt 2 n° 22-17.638 :   

Un salarié est victime d’un accident du travail. Par la suite, il inclut, dans le calcul de ses droits à congés payés, toute la période au cours de laquelle il se trouvait en arrêt de travail. Les juges d’appel ne lui donnent pas raison car, par application du droit français, ils jugent que ce calcul ne peut pas prendre en compte plus d’un an d’arrêt de travail. 

Le salarié se pourvoit en cassation.

Selon le droit européen, un salarié victime d’un accident de travail peut bénéficier d’un droit à congé payé couvrant l’intégralité de son arrêt de travail.

Selon le droit français, l’indemnité compensatrice de congé payé est limitée à une seule année de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle  

Opérant un nouveau revirement de jurisprudence, la Cour de cassation écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne et censure la décision d’appel. Elle juge, qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congé payé ne peut pas être limitée à un an.

Arrêt n°3 n° 22-10.529 :  

Pendant plus de 10 ans, une enseignante travaille comme prestataire dans un institut de formation. Ayant obtenu en justice la requalification de cette relation contractuelle en contrat de travail, elle demande à être indemnisée des congés payés qu’elle n’a jamais pu prendre pendant ces 10 années. Les magistrats lui donnent partiellement gain de cause, la cour d’appel considérant que l’enseignante devait être indemnisée, mais uniquement sur la base des trois années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congé payé étant prescrit. 

L’enseignante, ainsi que l’institut de formation se pourvoient en cassation.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et ,en se conformant une fois encore au droit de l’Union européenne, retient que le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé. Ce n’était pas le cas en l’espèce, puisque l’enseignante n’avait pas pu prendre de congés payés au cours de ses 10 années d’activité au sein de l’institut de formation, l’employeur n’ayant pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Le délai de prescription ne pouvait donc pas commencer à courir. 

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Licenciement

Point de départ du délai de convocation à l’entretien préalable 

Cass.soc. 6 septembre 2023, n°22-11661

Ce qu’il faut retenir

Le délai minimal de cinq jours ouvrables avant la tenue d’un entretien préalable commence à courir le jour suivant la présentation de la lettre recommandée.

Le cas détaillé

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 janvier 2018, présentée à son domicile le 12 janvier 2018 et qu’elle a finalement réceptionnée le 22 janvier 2018, une salariée est convoquée à un entretien préalable qui se tient le 24 janvier 2018.

Suite à son licenciement, la salariée saisit la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Rappel: un entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de la lettre de convocation.  (Art. L. 1232-2 du Code du travail)

La Cour d’Appel, considérant que le délai de 5 jours ne commence à courir qu’à compter du jour où la salarié retire son courrier recommandé et qu’en l’espèce, ce délai n’a pas été respecté, donne raison à la salarié et condamne l’employeur à payer des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement. 

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L’employeur se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et retient que, malgré le fait que la salariée ait récupéré son courrier recommandée 10 jours après sa présentation, le délai de cinq jours avait commencé à courir le jour suivant la présentation de la lettre recommandée, soit le 13 janvier 2018. La salariée avait donc bénéficié d’un délai de cinq jours ouvrables pleins à la date de l’entretien et ne pouvait donc pas invoqué une irrégularité de la procédure de licenciement.

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Recevabilité de la preuve apportée par l’employeur pour sanctionner un salarié 

Preuve apportée par un « client mystère » 

Cass.soc. 6 septembre 2023, n°22-13783

Ce qu’il faut retenir

Un employeur peut se fonder sur les résultats d’un contrôle d’activité des salariés pour prendre une mesure disciplinaire à condition que les salariés soient informés, avant leur mise en œuvre, des dispositifs de contrôle mis en place par l’employeur.

Le cas détaillé

Un employé d’un restaurant en libre service sert, à son insu, un “client mystère”, mandaté par l’employeur pour effectuer des contrôles. Le client mystère, dans sa fiche d’intervention, relève qu’aucun ticket de caisse n’a été remis par le salarié après l’encaissement de la somme demandée.

De ce fait, l’employeur licencie le salarié pour faute.

Le salarié conteste le bien-fondé de son licenciement, au motif que le moyen de preuve utilisé par l’employeur était, selon lui, illicite et contraire à l’article L. 1222-3 du Code du travail  en vertu duquel le salarié doit être expressément et préalablement informé par les méthodes d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard par l’employeur.

Les juges d’appel donnent raison à l’employeur.

Le salarié se pourvoit en cassation. 

La chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel. En effet, elle précise que, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur est autorisé à contrôler l’activité de ses salariés, à condition que ce contrôle s’effectue de manière loyale. 

Elle retient qu’en l’espèce, l’employeur avait non seulement informé au préalable les salariés de l’existence de ce dispositif d’investigation par une note d’information sur le dispositif dit du « client mystère, mais avait également informé les représentants du personnel avec production  du compte rendu de réunion du comité d’entreprise. 

En conséquence, pour la Cour de cassation, la méthode de contrôle était licite  et l’employeur pouvait donc en utiliser les résultats au soutien de la procédure de licenciement.

Preuve apportée par la géolocalisation

Cass.Soc. 6 septembre 2023, n°22-12.418

Un salarié chauffeur routier est licencié pour faute grave en raison de déplacements injustifiés établis par le système de géolocalisation de son véhicule.

Il saisit les Prud’hommes en contestation de ce licenciement.

Il est débouté en appel et se pourvoit en cassation. Selon lui, la géolocalisation comme moyen de preuve n’est pas recevable car, s’il a bien été informé de l’existence d’un système de géolocalisation sur son véhicule, la finalité de cette géolocalisation comme contrôle de son activité ne lui avait pas été précisée. 

La Cour de cassation accueille l’argumentation du salarié et casse l’arrêt d’appel. 

Elle rappelle qu’une entreprise qui souhaite mettre en place un traitement de données à caractère personnel, doit, au préalable, informer les salariés concernés par un traitement des données, de l’identité de son responsable, de sa finalité, de ses destinataires, de l’existence d’un droit d’accès aux données, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits.

Elle rappelle également que l’employeur peut utiliser un système de géolocalisation pour contrôler l’activité des salariés à condition que ce système ait été porté à leur connaissance préalablement.

En l’espèce, le système de géolocalisation avait été déclaré à la CNIL et le salarié en avait été informé par lettre recommandée avec accusé de réception.

Or, cette lettre mentionnait, au titre des objectifs de la géolocalisation, seulement le but de protection de la sécurité des biens et des personnes et non le contrôle de l’activité professionnelle des salariés et de la durée du travail.

Lanceur d’alerte

Cass.soc. 13 septembre 2023, n°21-22.301

Ce qu’il faut retenir

Le lanceur d’alerte n’est pas soumis à l’exigence d’agir de manière désintéressée.

Le cas détaillé

Un salarié constate, dans le cadre de l’exercice de ces fonctions, l’existence de graves irrégularités dues au non-respect de la réglementation des sociétés de sécurité, irrégularités de nature à caractériser un délit.

Le salarié alerte oralement et par courrier sa hiérarchie et la direction de son entreprise de ces faits constitutifs d’un délit. À la suite de cette dénonciation, le salarié est licencié pour faute grave.

Le salarié saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la nullité de son licenciement au titre de la protection due aux lanceurs d’alerte prévue à l’article L. 1132-3-3 du Code du travail. Les juges prud’homaux prononcent la nullité du licenciement, de même que la Cour d’appel .

La société se pourvoit alors en cassation. Elle estime que les conditions ouvrant droit à la protection du salarié ne sont pas réunies, notamment, le défaut de caractère désintéressé de la démarche de dénonciation du salarié, sa période d’essai en cours de renouvellement et ses nouveaux avantages salariaux en cours de négociation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle d’une part, que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions n’est pas soumis à l’exigence d’agir de manière désintéressée et, d’autre part, que la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 fixe comme seule exigence que le lanceur d’alerte ait agi de bonne foi et sans contrepartie financière directe.

En conséquence, le salarié pouvait bénéficier de la protection accordée aux lanceurs d’alerte à partir du moment où il avait relaté les faits sans mauvaise foi.

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.