Veille jurisprudentielle février 2022

Veille jurisprudentielle février 2022
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

L’application des règles éditées par le Code du travail est très souvent sujette à interprétation. Toutefois, cette interprétation peut être risquée. C’est pourquoi l’étude de la jurisprudence est si importante. Découvrez les dernières actualités en matière d’exécution, mais aussi en termes de rupture de contrat.

Télétravail

Pas d’arrêt du télétravail sans l’accord du salarié !

CA Orléans 7-12-2021 n°19/01258

Un commercial, qui ne se rend que très occasionnellement au siège de son entreprise pendant 8 ans, reçoit un courrier de son employeur lui demandant d’être présent dans les locaux de l’entreprise 2 jours complets par semaine. Aucun accord sur la mise en place du télétravail n’a été formalisé entre les parties. 

Estimant que ce changement ne peut pas se faire sans son accord, il saisit la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

Débouté de sa demande par le conseil des prud’hommes, il fait appel du jugement. 

La cour d’appel fait droit à la demande du salarié, constatant, tout d’abord, que le contrat de travail signé entre les parties ne prévoit aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail, ni secteur géographique particulier, mais que le salarié est chargé de représenter la société notamment en France et en Europe.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, le salarié ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, sans qu’aucune explication ne semble lui avoir été demandée sur ce point. L’employeur avait par conséquent accepté ce mode d’organisation du travail à distance et le salarié a pu établir son domicile fort loin du siège de l’entreprise.

Dès lors, en lui imposant d’être présent au siège de l’entreprise 2 jours par semaine, la société a modifié le lieu d’exécution de la prestation de travail, élément essentiel du contrat de travail, bouleversant non seulement l’organisation professionnelle, mais également les conditions de vie personnelle du salarié.

Cette modification du contrat de travail ne pouvait pas être unilatéralement décidée par l’employeur et le salarié était donc en droit de la refuser.

Cette solution va dans le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie du travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut pas modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié et ce, même en présence d’une clause de mobilité.

La solution aurait pu être différente si le télétravail avait été mis en place par un accord collectif ou une charte qui prévoirait les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail. 

À défaut, en l’absence d’accord ou de charte sur le télétravail, l’employeur et le salarié auraient pu prévoir, à l’occasion de la formalisation de leur accord de mettre en place le télétravail, les conditions de retour à une exécution du contrat sans télétravail.

Durée du travail

temps-travail-dépassement-plafond-heures-préjudice-faute-employeur

Le dépassement non autorisé de la semaine de 48 heures constitue pour le salarié un préjudice automatique.

Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-21636 

En l’espèce, un salarié reproche à son employeur de l’avoir fait travailler plus de 48 heures sur une même semaine, en violation de l’article L. 3121-35 al. 1er du Code du travail et lui demande des dommages-intérêts en violation de la règle de la durée maximale de travail hebdomadaire.

Question : le dépassement non autorisé de la semaine de 48H constitue-t-il un préjudice pour le salarié ?

La chambre sociale de la Cour de cassation, cassant l’arrêt d’appel, précise que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail entraîne automatiquement un préjudice pour le salarié, sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer l’existence, et ouvre droit à réparation. 

Le caractère de préjudice automatique retenu par cet arrêt de la Cour de cassation constitue un revirement de jurisprudence par rapport à une jurisprudence régulière sur le sujet. Elle trouve son explication dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, dans des situations similaires, retient le préjudice automatique. L’appréciation du caractère automatique ou pas du préjudice s’appréciera donc au cas par cas.

À lire également :

Forfait annuel en jours 

Une convention de forfait annuel en jours ne donne pas au salarié le droit de fixer librement ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail décidée par l’employeur.

Cass. soc. 2 février 2022, n° 20-15744 

Une salariée est engagée dans le cadre d’une convention de forfait fixée à 216 jours annuels.

Suite à une demande de réduction de son temps de travail, acceptée par l’employeur, la salariée reçoit, par courrier recommandé, un planning de ses jours de présence, organisé en journées ou demi-journées.

Après de nombreuses entorses à ses horaires et plusieurs avertissements de l’employeur, la salariée finit par être licenciée pour faute grave, son employeur lui reprochant de ne pas respecter les jours de présence fixés dans son emploi du temps, de se présenter à son poste de travail selon ses envies et de le quitter sans prévenir ses collaborateurs.

Question : quelles sont les limites de la liberté d’organisation de son temps de travail, par un salarié en forfait annuel en jours ?

La Cour de cassation donne raison à l’employeur, soulignant que, si un salarié soumis à une convention de forfait annuel en jours dispose d’une grande autonomie dans l’organisation de son emploi du temps, toutefois, cette autonomie ne donne pas au salarié le droit de fixer librement ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail décidée par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction.

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Clause de non-concurrence et rupture conventionnelle

En matière de rupture conventionnelle, l’employeur qui souhaite renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-15755 

En l’espèce, la clause de non-concurrence d’une salariée indiquait la faculté de son employeur de se libérer de la contrepartie financière de cette clause en renonçant à celle-ci et l’obligation de lui notifier sa décision à tout moment durant le préavis ou dans un délai maximum d’un mois à compter de la fin du préavis (ou, en l’absence de préavis, de la notification du licenciement).

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Question : Dans quel délai l’employeur doit renoncer à l’application d’une clause de non-concurrence dans le cadre d’une rupture conventionnelle ?

Selon une position jurisprudentielle constante de la Cour de cassation, le salarié ne peut pas être laissé dans l’incertitude quant à l’application ou non de la clause de non-concurrence. 

Par conséquent, l’employeur qui souhaite libérer le salarié de son obligation de non-concurrence doit la lui avoir notifiée, de manière expresse, claire et non équivoque au plus tard à la date de rupture fixée par la convention de rupture conventionnelle, même en présence de stipulations ou dispositions contraires. 

L’employeur doit donc faire preuve de vigilance, s’il souhaite délier le salarié de son obligation de non-concurrence, lorsque le contrat de travail est rompu sous la forme d’une rupture conventionnelle

Droit à l’image du salarié 

En cas d’atteinte de l’employeur au droit à l’image du salarié, ce dernier peut obtenir réparation en justice sans démontrer l’existence d’un préjudice.

Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-12420 

Deux salariés sont licenciés pour motif économique et saisissent la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Ayant été photographiés avec l’ensemble de l’équipe pour apparaître sur le site internet de la société, ils demandent, par courrier, la suppression de ces photos consécutivement au licenciement. L’employeur ne fait pas droit, dans un premier temps, à cette demande de suppression, puis efface les photos litigieuses postérieurement à la communication des conclusions de première instance.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, retenant que le retard de l’employeur dans le traitement d’une demande d’un salarié de retrait de sa photo du site internet de l’entreprise lui permet d’obtenir des dommages et intérêts. 

En effet, la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image est suffisante à fonder le droit à réparation, autrement dit, la démonstration d’un préjudice n’est pas requise.

Par cette décision, la Cour élargit et précise les circonstances susceptibles de constituer une atteinte à l’image : même si le salarié a accepté d’être pris en photo avec l’ensemble du personnel, s’il n’en accepte pas la diffusion, la violation du droit à l’image est, en conséquence, caractérisée.

Dès lors, l’employeur doit, obtenir l’autorisation sans équivoque du salarié s’il veut utiliser son image personnelle.

Pour la Cour, le droit à l’image s’analyse comme droit attaché à la personne et les manquements subséquents bénéficient d’une présomption de préjudice. Il en résulte que le salarié qui n’a pas explicitement signifié son consentement est dispensé de prouver le préjudice subi.

À lire également :

Dénonciation des manquements déontologiques de l’employeur

Le licenciement d’un salarié ayant dénoncé les manquements déontologiques de son employeur est nul.

Cass. Soc. 19-12-2022 n°20-10.057

Un salarié, engagé en qualité d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, alerte son employeur, par lettre recommandée, sur une situation de conflit d’intérêts concernant la société, entre ses missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, et l’informe qu’à défaut de pouvoir discuter de cette question avec lui, il en saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes. Il saisit cette instance à la veille de son entretien préalable de licenciement puis est licencié pour faute grave quelques jours après.

Contestant son licenciement, le salarié saisit la juridiction prud’homale pour faire juger le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement d’indemnités. 

Question : est-ce que le licenciement d’un salarié, suite à la dénonciation de manquements déontologiques de son employeur, doit être frappé de nullité ?

Oui répond la Cour, un salarié qui relate ou témoigne, de bonne foi, de faits constitutifs d’infractions pénales ou de manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, et dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ne peut pas être sanctionné ou licencié pour ce motif, sous peine de nullité.

La solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt apporte une nouveauté par rapport aux précédentes décisions sur le sujet. En effet, il précise que la protection du salarié dans l’exercice de sa liberté d’expression concerne non seulement les faits susceptibles de caractériser des infractions pénales (délit ou crime), mais également des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement.

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Discrimination 

Une mutation disciplinaire n’est pas discriminatoire si elle est justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante. 

Cass. Soc. 19 janv. 2022 n°20-14014

Un salarié hindouiste,  ayant refusé plusieurs mutations, dont l’une dans un cimetière, en raison de ses convictions religieuses, et ce, malgré la clause de mobilité que comportait son contrat de travail, est sanctionné par une mutation disciplinaire sur le site d’une autre société située dans le secteur géographique.

Le salarié ayant à nouveau refusé cette mutation, l’employeur le licencie pour cause réelle et sérieuse.

Contestant son licenciement, le salarié demande l’annulation de la mutation disciplinaire.

Question : peut-on refuser une mutation en raison de ses convictions religieuses ?

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, favorable au salarié, estimant que la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au regard d’une part, de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié et de la clause de mobilité légitimement mise en œuvre par l’employeur, d’autre part, du caractère proportionné au but recherché de la mesure.

La mutation n’était donc pas discriminatoire et, par conséquent, le licenciement n’était pas nul.

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.