Actualités jurisprudentielles Janvier 2024

Actualités jurisprudentielles Janvier 2024
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Règlement intérieur, salarié inapte, salarié en forfait jours…. Rappel des points de vigilance pour l’employeur à travers les arrêts choisis.

Nous vous proposons ce mois-ci une revue jurisprudentielle autour d’arrêts qui donnent à la Cour de cassation l’occasion de rappeler certains points de vigilance qui s’imposent à l’employeur : les conditions pour pouvoir imposer un éthylotest à un salarié, les conditions d’opposabilité du règlement intérieur, les obligations de l’employeur à l’égard du salarié déclaré inapte, étranger ou en forfait jours et enfin la vigilance requise en cas de modification du contrat de travail du salarié pour motif économique.

Alcoolémie sur le lieu de travail

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 décembre 2023, 22-13.460

Ce qu’il faut retenir

Dans des métiers comportant de fortes exigences de sécurité, ni le refus du salarié de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie ou de stupéfiants, ni le refus de l’employeur de pratiquer la contre-expertise demandée tardivement par le salarié ne privent de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié en état d’ébriété ou semblant sous l’emprise de drogue.

Le cas détaillé

Un salarié, conducteur de bus, est licencié sur le fondement d’un contrôle d’alcoolémie positif de 0,28 gramme par litre de sang, effectué lors de sa prise de poste, conformément au règlement intérieur.

Ce test avait été réalisé en application du règlement intérieur de l’entreprise qui prévoit la possibilité de faire l’objet d’un contrôle d’alcoolémie ou d’un test de dépistage de stupéfiants pour les salariés conduisant un véhicule, une machine dangereuse, manipulant des produits ou des outils dangereux, ou exerçant en tout état de cause un métier ou une fonction de sécurité et celle, pour le salarié, de demander une contre-expertise.

Le salarié demande à l’employeur une contre-expertise, 12 jours plus tard, lors du premier entretien disciplinaire.  

L’employeur refuse. L’objet de la contre-expertise étant de permettre au salarié de contester les résultats du contrôle d’alcoolémie, ce prélèvement sanguin devait être réalisé dans le plus court délai possible.

La Cour de cassation, saisie du litige, donne raison à l’employeur et considère qu’aucune conséquence ne peut être tiré du refus de l’employeur de faire procéder à cet examen biologique.

En revanche, elle rappelle que le taux maximal d’alcoolémie autorisé, pour les conducteurs de véhicules de transports en commun, est fixé à 0,2 gramme d’alcool par litre de sang (C. route art. R 234-1) et que le salarié s’apprêtait à conduire son bus sous l’emprise d’un état alcoolique susceptible de qualification pénale. 

Exerçant son pouvoir d’appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement, la Cour de cassation juge que ce grief est bien constitutif d’une telle cause réelle et sérieuse.

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Règlement intérieur

L’ arrêt de la Cour de cassation n° 22-13.460 du 6 décembre 2023, est aussi l’occasion de rappeler que seul le règlement intérieur peut permettre à l’employeur de procéder à un contrôle d’alcoolémie (éthylotest) ou à un dépistage de stupéfiants (salivaire ou urinaire), sous réserve qu’il respecte certaines conditions. La clause du règlement intérieur qui prévoit la possibilité de soumettre un salarié à un éthylotest est licite si :

  • En raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.
  • Les modalités de ce contrôle en permettent la contestation.
  • Le règlement intérieur est opposable aux salariés, c’est-à-dire qu’il : 
    • A fait l’objet d’une consultation du CSE.
    • A été communiqué à l’inspection du travail en deux exemplaires avec le procès-verbal de la réunion au cours de laquelle le CSE a été consulté.
    • A été déposé au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement.
    • Et a été porté, par tout moyen, à la connaissance des personnes ayant accès au lieu de travail.

Inaptitude

Cass.soc. 10 janvier 2024 n°2120.229

Ce qu’il faut retenir

Le refus d’une proposition de reclassement par un salarié inapte ne dispense pas l’employeur de son obligation de reprise du versement de salaire.

Le cas détaillé

Un salarié est déclaré inapte à son poste. Le médecin du travail a précisé qu’il peut occuper un poste similaire, sans travail de nuit, mais sur un autre site. L’employeur adresse au salarié, qui la refuse, une proposition écrite de reclassement, dans un emploi conforme aux préconisations du médecin du travail. Le salarié est alors licencié.

Il saisit la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de salaire.

Après avoir été débouté par les juges d’appel en raison de son refus du poste de reclassement, le salarié se pourvoit en cassation. 

La Cour de cassation fait droit à sa demande et casse l’arrêt d’appel. 

En effet, elle rappelle que :

  • L’obligation de rechercher un poste de reclassement ne dispense pas l’employeur de son obligation de reprise du paiement des salaires à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail.
  • La reprise du versement du salaire au-delà du délai d’un mois, s’impose à l’employeur même si le salarié a refusé une proposition de reclassement qui prend en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
  • La reprise du versement du salaire ne dispense pas l’employeur de l’obligation de rechercher un poste de reclassement.

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Forfait jours  

Ce qu’il faut retenir

En cas de recours à un forfait annuel en jours, l’employeur doit s’assurer que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail, notamment par la tenue régulière d’un entretien au cours de l’année.

Cass. soc. 10-1-2024 n° 22-13.200

Le cas détaillé

Le contrat de travail d’un salarié prévoit une convention de forfait annuel de 217 jours.

Suite à sa démission, le salarié saisit la juridiction prud’homale de demandes relatives à son temps de travail qui, chaque année, dépassait son forfait. De plus, l’employeur n’avait pas veillé à sa surcharge de travail et n’avait pas organisé d’entretien annuel régulier. 

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Les juges du fond déboutent le salarié de ses demandes du fait des justifications de l’employeur et des contraintes internes auxquelles il a été confronté.  

Le salarié se pourvoit en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel. 

Elle relève le non-respect par l’employeur de ses obligations légales et conventionnelles et précise que les contraintes internes à l’entreprise ainsi que la récupération ou le paiement des jours de dépassement n’exemptent pas l’employeur du respect de ses obligations légales ou conventionnelles.

Elle rappelle également les dispositions d’ordre public selon lesquelles l’employeur qui a conclu une convention de forfait en jours avec un salarié doit :

  • S’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
  • Organiser un entretien annuel obligatoire au minimum afin d’évoquer la charge de travail, l’organisation de travail ainsi que l’articulation vie personnelle/vie professionnelle et sa rémunération. 

Cet entretien doit être réalisé au cours de l’année concernée.

Discrimination

Cass. soc., 20 décembre 2023, n° 21-20.904 

Le cas détaillé

Une salariée d’origine roumaine, engagée comme agent de comptabilité par une clinique, conteste sa classification, revendiquant celle de technicienne comptable. L’employeur remettait en cause la valeur du diplôme universitaire roumain et l’expérience professionnelle que la salariée avait acquise en Roumanie. 

Soutenant être victime de discrimination, elle saisit la juridiction prud’homale. Elle est licenciée pour faute grave pour avoir produit lors de l’instance prud’homale des documents médicaux couverts par le secret médical.   

Dans cet arrêt, la Cour de cassation est saisie de deux questions :

  • La discrimination du fait du diplôme.

Pour la Cour, le fait pour la salariée, titulaire d’un diplôme étranger, de n’avoir pas bénéficié de la classification conventionnelle à laquelle elle pouvait prétendre depuis son embauche, laisse supposer l’existence d’une discrimination en raison des origines.

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  • La licéité de la production en justice de documents couverts par le secret médical.

Aux termes du Code de la santé publique, le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel et s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

La salarié avait été licenciée pour faute grave pour non-respect du secret médical.

La Cour de cassation rappelle, conformément aux dispositions du Code du travail et de celui de la santé publique que la production en justice de documents couverts par le secret médical ne peut être justifiée que lorsqu’elle est indispensable à l’exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.

Or, en l’espèce, la salariée n’établissait pas que l’absence d’anonymisation de ces pièces et de la suppression des données permettant l’identification des patients était, dans le cadre de l’instance en cause, indispensable pour justifier des fonctions qu’elle exerçait réellement. 

En conséquence, La Cour a confirmé l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement pour faute.

Modification du contrat de travail pour motif économique

Cass.soc., 8 nov. 2023, n°22-10.350

Le cas détaillé

Une salariée, opticienne, se voit proposer par son employeur une affectation dans un futur centre optique sans précision sur la d’ouverture de ce futur centre. En attendant cette nouvelle affectation, la salariée effectuait des remplacements dans d’autres centres optiques de la région. Après son refus de modification de son contrat de travail, la salariée est licenciée pour motif économique. 

La Cour de cassation, saisie de l’affaire, juge que l’imprécision quant à la date de reclassement définitif de la salariée et les lieux temporaires d’affectation rendaient la proposition de modification du contrat de travail pas assez précise pour permettre à la salariée de mesurer les conséquences de son choix et de prendre position sur l’offre qui lui avait été faite 

Le même jour, la Cour de cassation a rendu un autre arrêt (Cass.soc. 8 novembre 2023, n°22-11.369) sur le même thème concernant un employeur qui avait omis la mention du motif économique pour lequel la modification du contrat de travail était envisagée. En effet, l’employeur avait justifié la proposition de réduction du temps de travail du salarié et de sa rémunération par la mise en place d’une nouvelle organisation de l’entreprise, sans justifier d’un motif économique.

La Cour de cassation en a déduit qu’aucun motif économique n’étant indiqué par l’employeur, la procédure de modification du contrat de travail pour motif économique (article L.1222-6 C.trav.) ne s’appliquait pas. Par conséquent, l’employeur ne pouvait pas imposer au salarié la modification de son contrat de travail. 

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.