Actualités jurisprudentielles Octobre 2022

Actualités jurisprudentielles Octobre 2022
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

En droit du travail, la jurisprudence est une source indispensable d’informations qui permet aux employeurs et aux RH de sécuriser au mieux les relations de travail. Découvrez quelles sont les jurisprudences ayant marquées ce mois d’octobre 2022.

L’actualité sociale jurisprudentielle, ce mois-ci, est très riche comme souvent : licenciement, droit de grève, droit d’expression des salariés, principe d’égalité de traitement entre les salariés… Faisons ensemble un tour d’horizon.

Licenciement

Notification de licenciement : quelle date acte le licenciement ?

Cass.soc.28 septembre 2022 n°21-15606

La rupture d’un contrat de travail est actée à la date à laquelle l’employeur a irrévocablement manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi du courrier notifiant la rupture. 

Un salarié reçoit la notification de son licenciement par une lettre recommandée.

Or, la veille du jour de la réception de cette lettre, l’employeur lui téléphone, l’informe de son licenciement et lui indique qu’il ne doit pas se présenter dans l’entreprise le lendemain.

Selon le salarié, cet appel revient à un licenciement verbal dont il conteste le caractère réel et sérieux car pour lui, il a été licencié verbalement par téléphone concomitamment à l’envoi du courrier de rupture par l’employeur.

La Cour de cassation ne donne pas raison au salarié, car pour elle, la date de la rupture d’un contrat de travail correspond à la date à laquelle l’employeur a irrévocablement manifesté sa volonté d’y mettre fin.  

Or, lorsque l’employeur adresse un courrier au salarié, il faut se placer au jour de l’envoi de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception notifiant la rupture.

En l’espèce, le courrier est envoyé avant l’appel téléphonique, c’est donc lui qui acte la rupture et le licenciement reste fondé même si l’employeur a informé le salarié verbalement de la rupture entre l’envoi du courrier et sa réception.

Licenciement d’un salarié protégé

CE 7 octobre 2022, n°450492

Des propos racistes et sexistes constituent une faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement disciplinaire d’un salarié protégé

Le Conseil d’État donne raison à un employeur qui a licencié un salarié protégé pour motif disciplinaire, relevant qu’en l’espèce, “les propos tenus par le salarié visaient systématiquement et de manière répétée des salariés ayant pour point commun d’être des femmes, supposément d’origine maghrébine et de confession musulmane, qui, au surplus, se trouvaient sous sa responsabilité, et ne pouvaient, dès lors qu’ils revêtent un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d’autres, être réduits à des propos triviaux et que la Cour, en estimant qu’ils ne constituaient pas une faute d’une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, en prenant en compte l’existence de tensions entre le salarié et son employeur et l’absence d’antécédents disciplinaires de ce salarié protégé, a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.”

Motif de licenciement économique

Cass. soc. 21-9-2022 n° 20-18.511 FS-B

Remplir tous les critères d’appréciation des difficultés économiques énumérés par le Code du travail n’est pas nécessaire pour justifier un licenciement économique. 

Une entreprise engage des licenciements économiques collectifs, et invoque les difficultés économiques suivantes :

  • Baisse significative des commandes et du chiffre d’affaires.
  • Pertes structurelles conséquentes sur les 4 dernières années, avec endettement s’élevant à 7.5 millions d’euros.
  • Des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.

Un salarié concerné par le licenciement économique saisit les Prud’hommes d’une action en contestation du bien-fondé de la rupture.

La cour d’appel donne raison au salarié et juge son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon elle, l’employeur n’apporte pas la preuve d’une baisse des commandes et/ou du chiffre d’affaires sur trois trimestres consécutifs, incluant le trimestre au cours duquel la rupture du contrat du salarié a été notifiée et prouve donc insuffisamment ses difficultés économiques. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Pour elle, il n’est pas possible d’invalider un licenciement au motif qu’un seul des indicateurs économiques et les juges du fond auraient dû rechercher si les autres indicateurs économiques listés à l’article L. 1233-3 du Code du travail permettaient de caractériser ou non des difficultés économiques.

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Droit de grève 

TA Rouen, ord.Réf, 13 oct.2022, n°2204100

La réquisition d’un nombre restreint de personnels ne porte pas atteinte au droit de grève

Par une ordonnance du 13 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen rejette le référé liberté déposé par la fédération nationale des industries chimiques CGT contre les arrêtés préfectoraux de réquisition des agents du groupe Exxon Mobil. Il retient que ces mesures, limitées à un nombre restreint d’agents et de courte durée, ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève.

Après avoir rappelé les principes applicables en cas de restriction portée au droit de grève, le juge relève d’abord le caractère nécessaire des mesures de réquisition individuelle d’agents qualifiés car les troubles à l’ordre public, engendrés par l’absence de desserte en carburant à partir de ce dépôt disposant de stock disponible, justifient le recours à la réquisition.

Le juge estime ensuite que cette mesure de police rendue nécessaire par les atteintes à l’ordre public, liées aux tensions et aux risques d’accident associés aux files d’attente et aux abandons de véhicules sur la voie publique, est proportionnée. Elles visent un nombre, limité à 4 salariés, de personnels qualifiés pour assurer un service minimum de pompage et d’expédition du carburant.

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Droit d’expression des salariés 

Précisions sur les limites de ce droit

Cass.soc. 21 septembre 2022, n°21-13.045

Sauf abus, les opinions qu’un salarié émet dans l’exercice de son droit d’expression ne peuvent pas motiver une sanction ou un licenciement.

Un salarié est licencié pour avoir, en présence de la direction et de plusieurs salariés de l’entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique, et tenté d’imposer au directeur général un désaveu public de cette supérieure. 

Deux jours plus tard, le médecin du travail constate l’altération de l’état de santé de cette dernière.

Saisie de la question, la cour d’appel analyse ce comportement comme une attitude d’insubordination et de dénigrement qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. 

Le salarié se pourvoit alors en cassation et fait valoir que, lors de cette réunion, il s’exprimait sur l’organisation de son travail et la surcharge de travail qu’il subissait , et qu’il n’avait pas dépassé le cadre de son droit à la libre expression dans l’entreprise. 

La chambre sociale de la Cour de cassation rejette l’arrêt d’appel énonçant que, conformément aux articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du Code du travail, les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail et que, sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l’exercice de ce droit ne peuvent pas motiver une sanction ou un licenciement. 

Or, la Cour de cassation relève qu’en l’espèce, le salarié n’a fait que remettre en cause ses conditions de travail, ce qui ne constitue en rien un abus dans l’exercice de son droit d’expression directe et collective, et ce même si cela a vraisemblablement entraîné des conséquences sur l’état de santé de sa supérieure.

Principe de laïcité et neutralité du service public

Cass.soc.9 octobre 2022, n°21-12370

Pourquoi vos entretiens annuels sont un échec ?

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Le licenciement pour faute grave d’un salarié du service public qui exprime ses convictions religieuses sur son compte Facebook peut être justifié.

Un salarié d’une mission locale a été mis à la disposition d’une commune pour exercer ses fonctions de conseiller d’insertion dans le cadre d’un dispositif « seconde chance » qui accompagne des jeunes en difficulté.

Alors qu’il exerce sa mission, le salarié a publié sur son compte Facebook, ouvert au public et sous son propre nom, des commentaires concernant notamment ses opinions politiques et religieuses. Il est licencié pour faute grave pour avoir publié « des propos incompatibles avec l’exercice de [ses] missions.

Le salarié demande aux juges d’annuler son licenciement car, selon lui, il a été discriminé du fait de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses.

Il obtient gain de cause devant la cour d’appel, mais la mission locale se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation casse et annule la décision des juges d’appel. 

Elle rappelle que les principes de laïcité et de neutralité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et en déduit qu’un salarié de droit privé, employé par une mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et par là, à une obligation de réserve en dehors du travail.

Par conséquent, si les propos publiés sur Facebook caractérisent un manquement à cette obligation de réserve, son licenciement n’est pas discriminatoire, car il est justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Principe d’ Égalité de traitement 

Cass.soc. 14 septembre 2022, n° 21-12.175

La seule différence de diplômes ne permet pas de justifier une différence de traitement entre des salariés qui exercent les mêmes missions sauf si l’employeur prouve que la possession d’un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice du poste occupé.

Une salariée licenciée après 25 ans d’ancienneté saisit les tribunaux afin de contester son licenciement. À l’occasion de cette action, elle conteste aussi sa classification en invoquant une atteinte au principe d’égalité de traitement, car une de ses collègues bénéficie d’un positionnement supérieur au sien alors qu’elle occupe le même poste.

L’employeur justifie cette différence par le fait que la collègue en question avait un diplôme.

Or, pour la salariée, la détention de ce diplôme n’attestait pas de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée.

La chambre sociale de la Cour de cassation fait droit à sa demande et rappelle qu’en vertu du principe d’égalité de traitement, «la seule différence de diplômes ne permet pas de fonder une différence de traitement entre salariés qui exercent les mêmes fonctions, sauf s’il est démontré par des justifications dont il appartient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, que la possession d’un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée».

Or, en l’espèce, l’employeur n’avait pas démontré que le diplôme attestait de connaissances particulières utiles à l’exercice des fonctions occupées.

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.