Actualités jurisprudentielles – Mai 2022

Actualités jurisprudentielles – Mai 2022
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Chaque mois, notre experte en droit social revient sur les jurisprudences les plus importantes du mois. Décryptage, explication, sécurisez vos pratiques en matière de droit du travail.

Rupture du contrat

Validité du barème Macron en cas de licenciement injustifié

Cass.soc. 11 mai 2022, n°21-15.247 et n°21-14.490

Pour rappel, le barème Macron, instauré par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 a supprimé le plancher d’indemnisation en cas de licenciement abusif et plafonné à 21 mois de salaire brut, les indemnités pouvant être versées aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse.

Pour Les licenciements notifiés depuis le 23 septembre 2017 et jugés injustifiés, les articles L 1235-3 et L 1235-3-1 du Code du travail octroient au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié.

Depuis sa création, ce barème « Macron », mal accueilli par les syndicats et les salariés, est très contesté sur sa conformité aux normes de droit international, notamment l’article 24 de la charte sociale européenne et l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié, le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié.

De nombreux conseils de prud’hommes et cours d’appel ont passé outre ce barème et ont continué à allouer, au cas par cas, des indemnités de préjudice plus élevées aux salariés licenciés abusivement.

Or, à travers ces deux arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation, pour la première fois, a eu à examiner des pourvois relatifs au barème Macron et a tranché.

Dans le 1er arrêt, une salariée de 53 ans avec 4 ans d’ancienneté obtient de la Cour d’Appel, qui avait estimé que la somme prévue par le barème couvrait à peine son préjudice réellement subi, une indemnisation supérieure au barème Macron.

L’employeur se pourvoit en cassation. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et affirme que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail et qu’il est conforme au principe de « réparation adéquate. »

Dans le second arrêt, une salariée totalisait plus de 36 ans d’ancienneté au moment de son licenciement. La Cour d’appel a décidé de fixer et de limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux du barème de l’article L.1235-3 du Code du travail.

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel. Selon elle, seul le barème Macron doit être pris en compte pour la fixation des dommages et intérêts et le juge français ne peut donc pas l’écarter, même au cas par cas.

Dans ces 2 arrêts, la question posée à la Cour de cassation est celle du pouvoir du juge confronté au barème d’indemnisation. Peut-il s’en affranchir ou doit-il impérativement s’y conformer ?

Dans ces 2 arrêts, la Cour retient que le juge est tenu par le barème, et qu’il lui est impossible de l’écarter, même au motif d’une indemnisation considérée comme insuffisante.

La créance d’indemnité de rupture conventionnelle naît dès l’homologation de la convention

Cass.soc. 11 mai 2022, n°20-21.103

Un salarié signe avec son employeur une rupture conventionnelle. La convention est homologuée une douzaine de jours avant la date de rupture du contrat. Or, le salarié décède entre cette homologation et la date de rupture de son contrat. L’employeur n’ayant pas versé l’indemnité de rupture conventionnelle aux ayants droit du salarié, ces derniers la réclament en justice.

La Cour d’appel donne raison aux ayants droit salarié et l’employeur se pourvoit en cassation.

La question posée à La Cour de cassation est celle de savoir si l’employeur est délié, ou non, de son obligation de verser l’indemnité de rupture conventionnelle si le salarié décède après l’homologation, mais avant la date de rupture fixée par les parties dans la convention. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel. 

En effet, selon elle, la validité de la convention est subordonnée à son homologation. La créance d’indemnité de rupture conventionnelle naît donc dès l’homologation de la convention, même si elle n’est exigée qu’à la date fixée pour la rupture.

Ainsi, le décès du salarié intervenu après l’homologation et avant la date de rupture du contrat ne permet pas à l’employeur de s’exonérer du versement de l’indemnité spécifique de rupture. Ses ayants droit étaient bien fondés à en réclamer le paiement.

Négociation collective

Non-cumul d’avantages contractuels et conventionnels ayant le même objet ou la même cause

Cass.soc. 11 mai 2022, n°21-11.240

Une entreprise avait prévu le versement d’une prime de production et d’une gratification annuelle, destinées toutes deux à remplacer une prime d’ancienneté et une prime annuelle.

L’employeur avait informé, par courrier, chacun des salariés de la mise en place de la prime de production en sollicitant leur accord et en précisant que l’absence de réponse valait accord tacite. Les juges du fond en avaient déduit l’incorporation de la prime de production au contrat de travail.

La prime de production est supprimée puis remplacée par une prime d’assiduité instituée par accord collectif.

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Le bénéfice de la prime de production ayant été intégré dans son contrat de travail, un salarié, considérant sa suppression unilatérale illégale, saisit les Prud’hommes afin d’en obtenir le paiement. Ceux-ci font droit à sa demande.

L’employeur se pourvoit en cassation en soutenant que la prime de production et la prime d’assiduité ont le même objet et la même cause puisque toutes deux sont destinées à encourager et récompenser la présence effective du salarié à son poste de travail. Elles ne peuvent donc pas se cumuler.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, jugeant qu’en cas de conflit de normes conventionnelles et contractuelles, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent pas, sauf dispositions contraires, se cumuler. Seul, le plus favorable d’entre eux peut être accordé.

Elle rappelle que les critères d’identité d’objet et de cause sont alternatifs et non cumulatifs.

Ainsi, pour déterminer si deux avantages doivent ou non se cumuler, le juge doit rechercher si l’avantage conventionnel n’a pas la même cause ou le même objet que celui revendiqué par le salarié au titre de son contrat de travail.

Il est intéressant de noter que, dans cet arrêt, la Cour de cassation revient sur une décision de 2012 dans lequel elle laissait penser, au contraire, que les critères d’identité, d’objet et de cause étaient cumulatifs.

À lire également

Exécution du contrat

La date d’ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d’ancienneté sauf à l’employeur à rapporter la preuve contraire

Cass.soc. 11/05/2022, n° 20-21.362

Une salariée est engagée dans le cadre d’une succession de CDD entre le 1er décembre 2010 et le 15 mai 2012. 

À compter du 16 mai 2012, la relation de travail se poursuit par un CDI à temps partiel. 

Le 15 janvier 2016, la salariée est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle saisit la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement.

La Cour d’appel avait limité le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse attribuée à la salariée au motif que l’employeur avait à bon droit fait remonter l’ancienneté de la salariée au 19 mars 2012 dans la mesure où ses embauches successives sous CDD avaient connu des périodes d’interruption. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel jugeant que “cette dernière n’avait pas recherché si des mentions figurant dans les bulletins de paie ne faisaient pas présumer l’ancienneté revendiquée par la salariée et qu’en conséquence, elle n’avait pas donné de base légale à sa décision”.

En effet, selon la Cour de cassation, il résulte de l’article R. 3243-1 du code du travail que la date d’ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d’ancienneté et c’est à l’employeur de rapporter la preuve contraire.

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Succession de contrats d’intérim : l’inactivité provisoire n’empêche pas la requalification

Cass.soc. 11/05/2022, n°20-12.271

Une salariée est engagée par Manpower et enchaîne les contrats de mission dans la même société pendant près de trois ans. Elle saisit la justice prud’homale pour obtenir la requalification de ses contrats en CDI. Les juges font droit à sa demande.

En appel et en cassation, l’entreprise utilisatrice objecte que le délai de prescription en requalification est de deux ans et que, selon elle, la requalification ne peut donc porter que sur les contrats effectués dans les deux ans qui précèdent l’action en justice de la salariée.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond et l’arrêt d’appel.

Après avoir rappelé, qu’en effet, la prescription de l’action en requalification est de deux ans, elle ajoute cependant, que même si le délai de prescription a pour point de départ le terme du dernier contrat, “le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière”, et que les périodes d’inactivité entre chaque contrat “n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription”.

Par conséquent, l’action de la salariée n’était pas prescrite et portait bien sur la totalité de ses contrats de mission, depuis le tout premier.

À lire également :

Inaptitude

L’obligation qui pèse sur l’employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment naît à la date de la déclaration d’inaptitude par le médecin du travail.

Cass. soc. 11-5-2022 n° 20-20.717

Représentation du personnel

Remplacement d’un délégué titulaire : quelle règle en l’absence de suppléants de même catégorie ?

Cass.soc., 18 mai 2022, n°21-11.347

Lorsqu’un délégué titulaire cesse ses fonctions ou est momentanément absent pour une cause quelconque, il est remplacé par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle de ce titulaire. Priorité est donnée au suppléant élu de la même catégorie.

S’il n’existe pas de suppléant élu sur une liste présentée par l’organisation syndicale qui a présenté le titulaire, le remplacement est assuré par un candidat non élu présenté par la même organisation. Dans ce cas, le candidat retenu est celui qui vient sur la liste immédiatement après le dernier élu titulaire ou, à défaut, le dernier élu suppléant.

À défaut, le remplacement est assuré par le suppléant élu n’appartenant pas à l’organisation du titulaire à remplacer, mais appartenant à la même catégorie et ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Le suppléant devient titulaire jusqu’au retour de celui qu’il remplace ou jusqu’au renouvellement de l’institution.

Il en résulte que, en l’absence de suppléant de la même catégorie, le remplacement est assuré en priorité par un suppléant d’une autre catégorie appartenant au même collège, présenté par la même organisation syndicale, à défaut, par un suppléant d’un autre collège présenté par cette même organisation, à défaut par un candidat non élu répondant à cette condition de présentation syndicale.

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.