PrĂȘt de main d’oeuvre Ă  l’heure du coronavirus: utilitĂ©, conditions de validitĂ© et mise en place

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Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

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Sommaire de l'article

Dans un communiquĂ© de presse du 2 avril 2020, en pleine crise du coronavirus, le MinistĂšre du Travail a autorisĂ© et encouragĂ© le prĂȘt de main d’oeuvre entre entreprises en prĂ©cisant que, dans le contexte sans prĂ©cĂ©dent que nous connaissons actuellement, les salariĂ©s inoccupĂ©s qui le dĂ©sirent, peuvent ĂȘtre transfĂ©rĂ©s provisoirement dans une entreprise souffrant d’un manque de personnel.

Qu’est-ce qu’un prĂȘt de salariĂ© ? Quelle diffĂ©rence avec la sous-traitance ? Quels sont les avantages pour les entreprises ? Quelles sont les conditions de validitĂ© du recours Ă  un prĂȘt de main d’oeuvre ? Quelle est la procĂ©dure Ă  suivre pour le mettre en place ? Nous allons tout vous dire !

Qu’est ce que le prĂȘt de main d’oeuvre?

Le prĂȘt de main d’oeuvre se dĂ©finit comme un dispositif lĂ©gal, strictement encadrĂ©, par lequel une entreprise met, pour une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e, Ă  la disposition d’une autre entreprise, un ou plusieurs de ses salariĂ©s.

L’objectif est simple : trouver une compĂ©tence extĂ©rieure qui n’existe pas ou plus en interne, afin de rĂ©aliser une tĂąche prĂ©cise nĂ©cessitant une technicitĂ© particuliĂšre. 

Quelle diffĂ©rence entre le prĂȘt de main d’oeuvre et la sous traitance?

Oui, le prĂȘt de main d’oeuvre diffĂšre de la sous-traitance. Le prĂȘt de main d’oeuvre est une mise Ă  disposition d’un salariĂ© par une entreprise Ă  une autre.

Dans la sous-traitance, une entreprise confie Ă  une autre entreprise, l’exĂ©cution d’une tĂąche sous sa propre responsabilitĂ© et avec le concours de son propre personnel.

Quels sont les avantages du prĂȘt de main d’oeuvre ?

  • Pour l’entreprise bĂ©nĂ©ficiaire, il permet d’accĂ©der Ă  une main d’Ɠuvre formĂ©e et qualifiĂ©e en payant uniquement le coĂ»t salarial et non le coĂ»t liĂ© Ă  l’intervention d’un intermĂ©diaire 
  • L’entreprise prĂȘteuse quant Ă  elle, peut, grĂące Ă  ce dispositif, adapter ses charges de personnel en fonction de son activitĂ© et maintenir ses contrats de travail en cas de diminution d’activitĂ© ou en pĂ©riode de crise. En outre, c’est une occasion d’offrir Ă  ses salariĂ©s le dĂ©veloppement de leurs compĂ©tences et une mobilitĂ© sĂ©curisĂ©e.
  • Enfin, pour le salariĂ©, c’est une opportunitĂ© d’une part, d’amĂ©liorer son employabilitĂ© en dĂ©veloppant de nouvelles compĂ©tences et en diversifiant son expĂ©rience, d’autre part, de conserver son contrat de travail en pĂ©riode de volume d’activitĂ© moindre.

Nous comprenons donc, qu’en pĂ©riode de baisse d’activitĂ©, de crise Ă©conomique ou de crise sanitaire impactant fortement notre Ă©conomie comme actuellement la crise du coronavirus, le prĂȘt de main d’oeuvre peut ĂȘtre une solution de recours pour remplacer temporairement du personnel absent ou malade, ainsi que pour Ă©viter le chĂŽmage partiel ou le licenciement Ă©conomique.

A prĂ©sent, nous allons Ă©tudier les conditions de recours et les modalitĂ©s de mise en place du prĂȘt de main d’oeuvre.

Quelles sont les conditions de validitĂ© du recours au prĂȘt de main d’oeuvre?

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Le prĂȘt de main d’Ɠuvre est trĂšs encadrĂ© par la loi et des conditions strictes ont Ă©tĂ© Ă©tablies par le lĂ©gislateur  (article L 8241-2 C.trav .).

Pour que le prĂȘt de main d’oeuvre soit licite , deux principes importants doivent ĂȘtre respectĂ©s:

Principe 1 : le prĂȘt de main d’Ɠuvre doit ĂȘtre Ă  but non lucratif

Cette notion de « but non lucratif Â» est capitale.

Le prĂȘt de main d’oeuvre est lĂ©gal si et seulement s’il est sans but lucratif c’est Ă  dire non rĂ©munĂ©rĂ©. Il pourra ĂȘtre considĂ©rĂ© comme n’ayant pas de but lucratif qu’Ă  condition que la sociĂ©tĂ© qui prĂȘte un ou plusieurs salariĂ©s ne facture Ă  la sociĂ©tĂ© bĂ©nĂ©ficiaire que le montant du salaire du salariĂ© (c’est Ă  dire son salaire brut + ses charges sociales + ses frais professionnels) et qu’aucun bĂ©nĂ©fice ne puisse ĂȘtre tirĂ© de cette activitĂ©.

Existe-t-il des exceptions Ă  ce premier principe?

Oui, il existe des exceptions prĂ©vues par la loi. En effet, la loi admet des activitĂ©s spĂ©cifiques au sein desquelles le prĂȘt de main-d’Ɠuvre est licite, mĂȘme si l’objectif poursuivi est financier. 

Les entreprises autorisĂ©es Ă  faire des opĂ©rations de prĂȘt de main-d’Ɠuvre Ă  but lucratif sont les suivantes: 

  • les entreprises de travail temporaire, 
  • les entreprises de portage salarial et de travail Ă  temps partagĂ©, 
  • les agences de mannequins exploitĂ©es par une personne titulaire de la licence.
  • les associations ou sociĂ©tĂ©s sportives
  • la mise Ă  disposition de salariĂ©s auprĂšs de syndicats de salariĂ©s ou auprĂšs d’associations d’employeurs.
  • les entreprises de sous-traitance pour la rĂ©alisation d’une activitĂ© prĂ©cise, distincte de celle de l’entreprise donneuse d’ordre et non pour la fourniture de mains d’Ɠuvre.
  • les jeunes entreprise de moins de 8 ans ou les PME de 250 salariĂ©s maximum Ă  condition que l’entreprise prĂȘteuse ait au mins 5000 salariĂ©s et que la mise Ă  disposition soit d’une durĂ©e de 2 ans maximum.

Principe 2 :  le salariĂ© doit ĂȘtre d’accord.

L’accord du salariĂ© doit ĂȘtre impĂ©rativement obtenu. Cet accord doit ĂȘtre Ă©crit et rendu officiel Ă  travers un avenant au contrat de travail d’origine.

L’avenant doit ĂȘtre signĂ© par le salariĂ© prĂȘtĂ© et comporter les Ă©lĂ©ments suivants:

  • TĂąches confiĂ©es dans l’entreprise utilisatrice
  • Horaires et lieu d’exĂ©cution du travail
  • CaractĂ©ristiques particuliĂšres du poste de travail
  • PĂ©riode probatoire et sa durĂ©e dĂ©finie par accord entre l’entreprise prĂȘteuse et le salariĂ©

A noter: Un modĂšle d’avenant peut se trouver sur le site travail-emploi.gouv.fr

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Le salariĂ© peut il refuser une proposition de mise Ă  disposition ?

Oui et s’il refuse d’ĂȘtre mis Ă  disposition d’une autre entreprise, il ne peut pas ĂȘtre sanctionnĂ©, ni discriminĂ© ni pĂ©nalisĂ© (licenciement ou mesure discriminatoire)

Quel est le statut du salariĂ© « prĂȘtĂ© Â» ?

Pendant la durĂ©e de la mise Ă  disposition, le salariĂ© prĂȘtĂ© ne devient pas un employĂ© de la sociĂ©tĂ© bĂ©nĂ©ficiaire du prĂȘt de main d’Ɠuvre. Il ne conserve qu’un seul employeur, son entreprise d’origine, avec laquelle son contrat de travail n’est ni rompu ni suspendu. 

Il reste dans les effectifs de sa sociĂ©tĂ© d’origine et il est rĂ©munĂ©rĂ© par elle. Il continue de relever du pouvoir hiĂ©rarchique de l’entreprise prĂȘteuse. En outre, il conserve, pendant la durĂ©e de mise Ă  disposition, les couvertures pour accident du travail et maladie professionnelle offertes par sa sociĂ©tĂ© d’origine.

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Son contrat de travail n’étant pas interrompu, il continue de bĂ©nĂ©ficier de tous les avantages conventionnels dont il dispose habituellement.

Par ailleurs, la mise Ă  disposition d’un salariĂ© titulaire d’un mandat reprĂ©sentatif ne peut pas remettre en cause sa situation de salariĂ© protĂ©gĂ©.

A la fin de la pĂ©riode de prĂȘt, le salariĂ© retrouve son poste de travail dans l’entreprise prĂȘteuse ou un poste Ă©quivalent, sans que sa rĂ©munĂ©ration ou son Ă©volution professionnelle n’en soit affectĂ©e.

Comment mettre en place le prĂȘt de main d’Ɠuvre ?

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La convention de mise Ă  disposition

Le prĂȘt de main d’Ɠuvre suppose un certain formalisme.

Outre la signature par le salariĂ© prĂȘtĂ© d’un avenant Ă  son contrat de travail, l’entreprise prĂȘteuse et l’entreprise bĂ©nĂ©ficiaire doivent Ă©galement signer une convention de mise Ă  disposition dĂ©signant uniquement un salariĂ©, qui mentionne les Ă©lĂ©ments suivants:

  • DurĂ©e de la mise Ă  disposition 
  • IdentitĂ© et la qualification du salariĂ© 
  • Mode de dĂ©termination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels facturĂ©s Ă  l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prĂȘteuse 

A noter: Un modĂšle de convention de mise Ă  disposition peut se trouver sur le site travail-emploi.gouv.fr

Attention: Le CSE de l’entreprise prĂȘteuse doit ĂȘtre consultĂ© avant la mise en oeuvre du prĂȘt de main d’oeuvre. Inversement, le CSE de l’entreprise utilisatrice doit ĂȘtre informĂ© et consultĂ© prĂ©alablement Ă  l’accueil des salariĂ©s mis Ă  disposition.

Toutefois, pendant la pĂ©riode de confinement liĂ©e au coronavirus, une consultation du CSE peut s’avĂ©rer difficile. En consĂ©quence, une consultation du CSE dans les meilleurs dĂ©lais, voire concomitante Ă  la mise Ă  disposition pourrait ĂȘtre admise par le tribunal.

Une dĂ©cision de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 30 octobre 1984 a jugĂ© qu’ “en cas de circonstances exceptionnelles, le dĂ©faut de consultation prĂ©alable ne constitue pas un dĂ©lit d’entrave, dĂšs lors que l’Ă©lĂ©ment intentionnel de l’infraction est exclu”.

Il est permis de penser que les mesures de confinement gĂ©nĂ©ral prises par le gouvernement dans le cadre du covid-19, ne permettant pas la consultation prĂ©alable du CSE, pourraient constituer, “des circonstances exceptionnelles” au sens de l’arrĂȘt du 30 octobre 1984.

NĂ©anmoins, il est souhaitable de faire le nĂ©cessaire pour organiser une consultation du CSE dans les meilleurs dĂ©lais, par visioconfĂ©rence ou audioconfĂ©rence si besoin afin de recueillir son avis et d’assurer la bonne information de la dĂ©lĂ©gation du personnel

Qu’est ce que la pĂ©riode probatoire ?

C’est une pĂ©riode d’essai, propre au prĂȘt de main d’Ɠuvre, durant laquelle chaque partie peut mettre fin Ă  la mise Ă  disposition. Le salariĂ© peut ensuite retrouver son poste initial dans l’entreprise prĂȘteuse.

La pĂ©riode probatoire est elle obligatoire ?

Oui la pĂ©riode probatoire devient obligatoire si le prĂȘt de salariĂ© entraĂźne une modification essentielle d’un Ă©lĂ©ment du contrat de travail telle que modification du nombre d’heures de travail par exemple

La fin de mise Ă  disposition du salariĂ© pendant la pĂ©riode probatoire peut elle nuire au salariĂ© ?

Non l’arrĂȘt de la pĂ©riode probatoire Ă  la demande de l’une ou l’autre des parties avant sa fin ne peut pas entraĂźner de sanction ou de licenciement sauf en cas de faute grave.

PrĂȘt de main d’oeuvre illicite: dĂ©finition et sanctions

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La mise Ă  disposition d’un salariĂ© peut-elle ĂȘtre illicite ?

Oui, toute opĂ©ration Ă  but lucratif, ayant pour objet le prĂȘt exclusif de main d’Ɠuvre constitue le dĂ©lit de main d’oeuvre illicite. ( Art. L8241-1C.Trav.)

Le prĂȘt de main-d’Ɠuvre est donc considĂ©rĂ© comme illicite dĂšs lors que la mise Ă  disposition du personnel est rĂ©alisĂ©e dans un but lucratif, c’est-Ă -dire gĂ©nĂ©rant une contrepartie financiĂšre. 

Quelle différence avec le délit de marchandage?

Le dĂ©lit de marchandage est Ă©galement dĂ©fini comme toute opĂ©ration Ă  but lucratif de fourniture de main d’Ɠuvre, mais ayant pour effet de causer un prĂ©judice au salariĂ© ou d’Ă©luder l’application de dispositions lĂ©gales ou conventionnelles.

Quelles sont les sanctions prévues pour ces délits ?

Le prĂȘt de main d’oeuvre illicite et le dĂ©lit de marchandage sont pĂ©nalement sanctionnĂ©s de 2 ans de prison et d’une amende de 30 000 euros pour les personnes physiques (Art.L8243-1 C.Trav.) et 150 000 euros pour les personnes morales. (Art. L.8243-2 C.Trav.)

Des sanctions administratives peuvent Ă©galement ĂȘtre prononcĂ©es (fermeture temporaire de l’entreprise ( Art. L8243-3 C.Trav), suppression des aides publiques ou remboursement des aides publiques dĂ©jĂ  perçues).

Des peines complĂ©mentaires peuvent aussi ĂȘtre appliquĂ©es (interdiction d’exercer certaines activitĂ©s professionnelles, exclusion des marchĂ©s publics de 5 ans maximum, publication du jugement dans les journaux et aux portes de l’Ă©tablissement (Art. L8243-1 C.Trav.).