Émettre des réserves motivées en cas d’accident constitue l’un des leviers essentiels dont disposent les entreprises pour agir sur les cotisations sociales « Accidents du travail et Maladies Professionnelles » souvent élevées qu’elles versent. Mais que recouvre cette notion ? Comment émettre des réserves suffisamment motivées et efficaces ? Voici les bonnes pratiques à connaître.
Par principe, en application des dispositions des articles L 441-2 et R 441-1 du Code de la sécurité sociale, l’employeur est tenu de déclarer tout accident dont il a connaissance dans un délai impératif de 48 heures*.
Sous peine de sanctions financières, l’employeur ne peut se faire juge, à la place, en régime général, de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), ou en régime agricole, de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), du caractère professionnel de l’évènement qui lui est déclaré et ne peut, en aucun cas, faire le choix de ne pas le déclarer.
Le seul moyen pour l’employeur de faire entendre sa voix est d’émettre des réserves motivées lors de la déclaration de l’accident.
Les réserves motivées : c’est quoi ?
Même si le Code de la sécurité sociale fait référence à la notion de « réserves motivées » de l’employeur, il n’en donne aucune définition.
De manière simplifiée, les réserves sont l’expression des doutes de l’employeur sur la réalité de l’accident déclaré par l’un de ses salariés.
À ce stade, l’employeur n’est pas tenu de rapporter la preuve du bien-fondé de ses réserves (cf. Cass Civ 2ème, 17 mars 2022, pourvoi n° 20-21642).
Il doit cependant faire en sorte que les réserves émises soient suffisamment motivées afin d’être considérées comme étant recevables par la CPAM ou la MSA.
La Cour de cassation est venue définir ce que recouvre la notion de « réserves motivées » et a retenu de manière limitative que pour être recevables, les réserves devaient porter strictement sur :
- Les circonstances de temps et de lieu de l’accident,
- et/ou l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
(cf. Cass Civ 2ème, 10 juillet 2008, pourvoi n° 07-18110)
Les réserves émises sur le fondement d’autres motifs ne sont pas recevables, tels que :
- La faute du salarié,
- le fait d’arriver en avance sur le lieu du travail, le non-respect des consignes, le non-port des équipements de protection individuels,
- la responsabilité d’un tiers.
Voici quelques exemples de motifs de réserves motivées recevables, le plus souvent invoqués de manière cumulative :
- Le salarié n’a déclaré aucun fait accidentel particulier à l’origine de la lésion déclarée :
Exemples :
- Le salarié marchait normalement et a déclaré une sciatique,
- le salarié a monté une marche, sans choc ni faux mouvement, et a déclaré une entorse du genou.
- Le salarié ne justifie d’aucun témoin de l’accident alors qu’il ne travaillait pas seul.
Sur ce motif, la position de la Cour de cassation est constante (cf. Cass Civ 2ème, 10 novembre 2022, pourvoi n° 21-14169).
- Le salarié a continué de travailler normalement et a prévenu son responsable tardivement (à compter du lendemain).
Sur ce motif, la Cour de cassation a ainsi admis comme recevables les réserves de l’employeur, rédigées de la manière suivante : « nous souhaitons vous faire part de nos plus sérieuses réserves quant à l’origine professionnelle de l’accident. En effet, la victime ne nous a pas prévenus à la fin de sa journée de travail de la survenance de son présumé accident. Nous n’avons été informés des faits que le lendemain. Au vu de ces éléments, il n’existe pas de preuve de penser que les causes de cet accident soient liées à son activité salariée de la veille » (cf. Cass Civ 2ème, 18 mars 2021, pourvoi n° 20-10411).
- La constatation médicale initiale de la lésion est tardive :
- Le certificat médical initial date du lendemain pour une lésion générant théoriquement une impotence fonctionnelle immédiate (entorse de la cheville par exemple),
- Le certificat médical initial a été établi à compter du surlendemain ou après un week-end (peu importe la lésion).
- La lésion n’est pas cohérente avec le fait accidentel déclaré :
Exemples :
- Le constat d’une hernie discale alors que le salarié descendait les escaliers,
- Le constat d’une tendinopathie de l’épaule alors que le salarié déplaçait un colis léger.
- La lésion correspond à la simple manifestation d’un état antérieur non aggravé par le travail :
Exemples :
- La déclaration d’un lumbago alors que le salarié avait rangé sa ceinture de maintien lombaire dans son vestiaire avant de commencer sa journée de travail,
- La déclaration d’une sciatique alors que le salarié devait être opéré,
- La déclaration d’un malaise au travail alors que le salarié avait oublié de prendre son traitement pour l’hypertension.
Pourquoi émettre des réserves ?
Émettre des réserves a un seul et unique objectif, mais non des moindres : contraindre la CPAM (ou la MSA) à engager une instruction afin de vérifier les allégations du salarié sur les circonstances de l’accident déclaré avant de prendre sa décision et l’amener à prendre une décision de refus de prise en charge de l’accident.
En effet, dès lors que l’employeur a émis des réserves recevables sur un accident, la Caisse ne peut s’exempter d’engager une instruction préalable, impliquant la vérification des causes et circonstances de l’accident tant auprès du salarié que de l’employeur.
Une procédure est alors menée au contradictoire de l’employeur, qui peut répondre au questionnaire et faire valoir sa version des faits, prendre connaissance des pièces constitutives du dossier d’instruction de la Caisse et émettre, le cas échéant, des observations qui doivent être prises en considération par cette dernière avant sa prise de décision.
Si la CPAM (ou la MSA) écarte les réserves motivées et décide de prendre en charge l’accident sans mener d’instruction contradictoire, ce manquement pourra être sanctionné par l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur (cf. Cass. civ. 2, 09 décembre 2021, n° 20-18.234).
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Je télécharge l’étudeIl convient d’insister sur le fait que si l’employeur n’a pas émis de réserves, la Caisse n’a aucune obligation d’engager une instruction et même si finalement, le salarié a prévenu tardivement ou a fait constater une lésion non rattachable dans un temps éloigné, la Caisse a la possibilité, soit de son propre chef d’engager une instruction, soit de décider de prendre en charge d’emblée l’accident du travail sans vérifier les allégations du salarié.
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Dans quel délai émettre des réserves ?
L’article R 441-6 du Code de la sécurité sociale prévoit que l’employeur dispose d’un délai de 10 jours francs à compter de la date d’établissement de la déclaration d’accident du travail pour émettre des réserves auprès de la Caisse.
Il est néanmoins vivement conseillé d’émettre des réserves dès la rédaction de la déclaration d’accident du travail, soit dans les 48 heures de la connaissance de l’accident, les motifs des réserves ainsi que les justificatifs étant le plus souvent regroupés de manière plus efficace dans les premiers jours.
Ce délai calculé en jours francs correspond à 10 jours calendaires qui courent à compter de la date d’établissement de la déclaration d’accident du travail et expirent au 10ème jour à minuit.
Ce délai de 10 jours francs est impératif et toutes réserves émises au-delà ne seront pas prises en considération par la Caisse. En contrepartie, la CPAM (ou la MSA) est tenue de respecter ce délai et toute décision de prise en charge rendue avant le terme du délai sera sanctionnée par l’inopposabilité de celle-ci à l’égard de l’employeur.
De quelle manière émettre des réserves ?
Le Code de la sécurité sociale n’évoque pas de modalités précises d’émission des réserves, qui peuvent être formulées « par tout moyen conférant date certaine » à leur réception suivant l’article R 441-6 ci-avant mentionné.
Le CERFA 14463*03 de déclaration d’accident du travail, reporté en partie sur le Compte Entreprise (en remplacement de Net-Entreprises pour notamment établir les déclarations d’accident du travail), prévoit un encart pour émettre des « éventuelles réserves motivées ».
Le Compte Entreprise permet également de modifier cet encart, même après validation de la déclaration d’accident du travail, dans le délai de 10 jours francs ci-avant évoqué.
Le nombre de caractère étant limité (128 caractères), il est conseillé de télécharger en annexe de la déclaration d’accident du travail un courrier circonstancié directement sur le site Compte Entreprise.
Il est également vivement recommandé de joindre à ce courrier tout justificatif, tel qu’une attestation sur l’honneur (sur cerfa officiel avec copie recto verso de la pièce d’identité de l’attestant), un certificat médical ou tout autre document venant étayer les réserves émises.
Il est toujours possible d’adresser également la lettre de réserves par lettre recommandée avec accusé réception, afin de pouvoir justifier d’une date certaine de réception par la Caisse.
Pour conclure
Émettre des réserves ne doit pas être considéré par les employeurs comme une simple faculté.
Même si le délai octroyé est court, il est nécessaire, avant toute déclaration d’un accident, de s’assurer par une enquête interne que les circonstances relatées par le salarié ne sont pas contestables et que la lésion est cohérente et, en fonction, de faire part à la CPAM (ou la MSA) des doutes sur la matérialité de l’accident ou sur l’imputabilité de la lésion.
Rappelons que les entreprises sont tenues de payer des cotisations sociales pour chaque accident du travail reconnu et qu’il revient aux employeurs d’alerter les Caisses en présence de circonstances accidentelles contestables.
À défaut d’avoir pu émettre des réserves, demeure toujours la possibilité de contester la décision de prise en charge de l’accident du travail devant la Commission de Recours Amiable puis devant le Pôle Social du Tribunal Judiciaire, étant précisé que le recours doit être engagé dans le délai de deux mois à compter de la réception de la décision de prise en charge de la Caisse.
* À noter qu’en cas d’accident mortel, l’employeur doit, depuis le décret n°2023-452 du 9 juin 2023, informer également l’inspection du travail dans les 12 heures qui suivent la connaissance de l’accident, sous peine d’une contravention de 5ème classe.
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