Depuis quelques années, l’IA s’invite dans la routine des RH et des professionnels du recrutement, promettant d’optimiser leur travail. En effet, cette dernière peut indéniablement faire gagner en temps et en efficacité, comme le souligne cet extrait du livre blanc sur la Digitalisation des Recrutements en 2024 par Taleez et Culture RH, notamment pour :
- Rédiger des descriptions de postes attractives.
- Améliorer la qualité des contenus sur les sites carrières, les jobboards, les réseaux sociaux.
- Générer des intitulés et des descriptions de poste ou d’entreprises.
- Formuler des recommandations d’opérateurs booléens.
- Générer des modèles de stratégies/plans de recrutement.
- Écrire des modèles d’email pour communiquer avec les candidats.
- Créer des messages pour attirer les talents.
Elle est d’ailleurs déjà présente dans les ATS (applicant tracking system) ou outils de recrutement qui appliquent pour certains l’intelligence artificielle, en employant des algorithmes d’analyse pour filtrer les candidatures répondant à des critères prédéfinis par les recruteurs.
C’est le cas par exemple de ALLinOne, Workday, ou bien SmartRecruiters.
Cependant, cette technologie soulève parfois des inquiétudes quant à la déshumanisation des processus, où l’on imagine les candidats pouvant être réduits à de simples données, mais aussi autour des inégalités.
Car une question cruciale se pose : ces avancées peuvent-elles réellement aider à limiter les biais cognitifs, ou risquent-elles de les renforcer ?
Découvrez les retours d’expériences de recruteurs et d’experts du sujet sur les effets de cette tendance, avec pour objectif, faire de l’intelligence artificielle votre alliée pour mieux recruter.
Ces biais cognitifs qui perturbent vos recrutements
Un biais cognitif est un mécanisme de pensée qui entraîne une altération du jugement très souvent de façon inconsciente.
Cette déviation influence alors notre façon d’interpréter les informations reçues et notre prise de décisions, nous amenant à traiter ça de manière très personnelle.
Les biais concernent absolument tout le monde, puisque nous y sommes tous soumis. Ils sont plus de 200 d’après la recherche, variables selon les individus et les circonstances, comme la fatigue, les émotions, le stress et quasiment impossibles à supprimer.
8 fiches pour développer le potentiel de vos entretiens
L’entretien annuel peut devenir un moment clé pour l’engagement et la formation des équipes. Pour révéler tout son potentiel, notre partenaire Lucca a élaboré un guide avec des conseils pratiques pour impliquer les collaborateurs lors de préparation, identifier des besoins de formation et favoriser la montée en compétences.
Je télécharge les 8 fichesLe professeur Philippe Damier, neurologue au CHU de Nantes explique très bien la merveilleuse machine qu’est le cerveau humain et les tours qu’il peut nous jouer dans cette vidéo lors de son intervention au TEDxRennes.
Finalement, le plus compliqué avec les biais, ce n’est donc pas d’en avoir, mais de ne pas en avoir conscience.
Parmi ceux qui influencent le plus le recrutement, on peut retrouver par exemple le biais de confirmation, qui pousse à privilégier les informations qui confirment une première impression, ou encore le biais d’affinité qui nous amène à favoriser les candidats qui nous ressemblent.
Pour aller plus loin, dans la 5ème série de sa newsletter Jean-Michel Talent, le site d’emploi Welcome to the Jungle France diffuse du contenu très pratique pour aborder plus largement le recrutement éthique et responsable, avec des sources comme :
- Le podcast de Wesuggest avec l’experte du sujet Marie-Sophie Zambeaux et sa série d’épisodes comprenant des retours d’expérience de recruteurs partageant leurs biais : “Le jour où”.
- Le test en ligne de Yaggo pour évaluer soi-même ses biais.
- Le livre d’Olivier Sibony “Vous allez commettre une erreur”, où il explore les mécanismes et les causes des erreurs de jugement et de décision.
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- IA : comment aider les collaborateurs à se familiariser avec les outils ?
- Comment l’IA peut aider les responsables RH au quotidien ?
L’IA à la rescousse des biais
Selon Olivier Bonnefous, spécialiste recrutement et IA, bien qu’elle soit prometteuse, l’intelligence artificielle n’est pas une solution miracle contre les biais cognitifs.
En effet, les algorithmes d’IA sont conçus à partir de données humaines, ce qui signifie qu’ils héritent des biais présents dans ces données.
L’IA peut devenir un outil précieux, seulement à condition qu’elle soit bien calibrée pour détecter et corriger ces biais.
Par exemple, en analysant un ensemble de CVs sélectionnés, l’IA peut repérer des tendances discriminatoires, qu’un recruteur, même averti, pourrait manquer.
“L’IA sera ce que l’on en fera. Elle peut être extrêmement bluffante, mais elle a besoin, au même titre que l’utilisateur, d’une formation pour bien faire son travail.”
Une deuxième condition selon lui : savoir prompter.
“Avec un outil comme ChatGPT, il est indispensable de bien formuler sa requête, de manière claire et précise pour obtenir une réponse pertinente. Pour des résultats neutres, il faut fournir suffisamment de contexte et indiquer ce que l’on attend comme type de réponse.”
Tel un panel de lecteurs avec chacun leur axe de lecture, l’IA devient même un compagnon pour contrôler un contenu et confirmer s’il a été totalement débarrassé des biais.
Réduire les biais grâce à l’IA : mission impossible ?
Si l’intelligence artificielle révolutionne notre manière de travailler, il faut toutefois ne pas omettre qu’elle peut elle-même introduire ou conforter des biais.
C’est ce que souligne le documentaire “Coded bias” diffusé sur Netflix.
On y retrouve une mise en lumière des risques de reproduction ou d’amplification des discriminations par l’IA, en raison de données biaisées sur lesquelles elles sont entraînées.
C’est le cas de systèmes de reconnaissance faciale entraînés sur des visages majoritairement blancs, qui montrent ensuite des difficultés à interpréter les expressions des personnes à la peau plus foncée. De même, une IA générative pourrait produire des images de managers exclusivement masculins, perpétuant ainsi des stéréotypes.
Une inquiétude partagée par Alicia Leclerc, consultante et formatrice en recrutement : “J’ai déjà observé des outils notamment pour mieux sourcer sur LinkedIn. Dans les filtres, il y avait la possibilité de choisir le sexe des candidats. Ça m’a beaucoup dérangée. Peut-être que pour un petit pourcentage de recruteurs, ça permettrait de favoriser le “gender mix”, mais je trouve que ça favorise plutôt la discrimination liée au genre.”
De quoi rappeler que l’IA doit être utilisée avec prudence, mais surtout, que les humains qui la programment ou l’utilisent peuvent toujours projeter leurs propres biais dans les résultats.
C’est par ailleurs un des points sur lesquels Eric Gras, Head of talent intelligence & Brand ambassador Indeed, insistait lors de notre webinar consacré au sujet en mai dernier “Intelligence artificielle et ressources humaines : quel avenir pour le recrutement ?” : “L’IA est vue à la fois comme une menace et une opportunité. Elle est paramétrée par des hommes et des femmes qui ont des biais, conscients ou moins conscients. L’IA est bête et disciplinée et elle va reproduire les schémas de l’utilisateur. Sans esprit contradictoire, elle peut effectivement devenir dangeureuse avec des discriminations potentielles à grande échelle. En revanche, partout où elle est utilisée intelligemment, le gain en productivité est indéniable.”
Pourquoi miser sur l’IA pour vos recrutements ?
Vanessa Gossent, recruteuse chez Very Up, nous partage son expérience avec l’IA :
“L’IA fait partie de mon quotidien de recruteuse, mais avec un usage bien précis. Elle apporte un regard critique sur mes pratiques. Je challenge mes offres d’emploi, mes messages d’approche, mes mails aux candidats, etc.
Je m’assure que mes textes sont inclusifs, pertinents, adaptés et qu’ils incitent à passer à l’action.
Pour moi, il n’est pas question de laisser l’IA faire le travail à notre place, mais plutôt de l’utiliser pour obtenir un regard différent et des conseils pour s’améliorer.
Aussi, je considère aujourd’hui Chatgpt un peu comme mon collègue. Toujours prêt à m’apporter un regard éclairé, la différence, c’est que je sais qu’il ne me jugera pas.
En tant que RH, il est hyper pertinent d’obtenir un regard externe sans partie prenante, sans attentes, sans impact ou quelconque pression à devoir montrer le meilleur de soi même.”
4 actions pour faire de l’IA votre partenaire contre les biais
Pour celles et ceux qui souhaitent utiliser l’IA pour promouvoir davantage de diversité et d’inclusion, il existe plusieurs marches à suivre.
Action n°1 : Se former
Sur le sujet des biais, L’étincelle RH propose des programmes sur mesure, et un organisme comme L’école du recrutement peut même vous accompagner à utiliser ChatGPT avec sa formation dédiée au sujet.
Investir dans la formation des recruteurs pour qu’ils soient sensibilisés aux biais, pour bien utiliser, interpréter et compléter les résultats fournis par l’IA est indispensable.
Action n°2 : Savoir prompter
Prompter est un art.
C’est pourquoi L’école du recrutement a développé plusieurs prompts et bots, dont Equitator, une IA qui transforme des questions portant sur des critères discriminatoires en question sur la volonté/capacité à effectuer les tâches.
Dans leur formation ChatGPT, leur message est limpide : plus les explications sont claires dans le prompt, plus le résultat donné sera de qualité.
Olivier, notre expert IA a quant à lui créé un prompt pour les recruteurs qu’il diffuse généreusement à la communauté, servant à examiner les textes et à proposer des améliorations pleines d’inclusivité. Très utile pour les annonces, il suffit de le copier-coller dans une IA générative comme ChatGPT ou Gemini :
“Tu es un expert RH en inclusion et diversité capable de déceler dans un texte les mots, les expressions et les tournures de phrases qui ne sont pas inclusives.
Mon objectif est d’analyser le degré d’inclusion d’une annonce ou d’une description de poste et donner une note de 0 à 10 (0 très fortement non inclusive, 10 très fortement inclusive).
Analyse le TEXTE et donne une note d’inclusion pour ce texte.
A la suite, donne moi des recommandations pour améliorer ma rédaction et obtenir une note de 10.
[TEXTE]”
Action n°3 : Bien paramétrer
Fanny FOUQUET-DJELLAB, recruteuse indépendante insiste sur l’importance de paramétrer ses outils IA.
“J’utilise systématiquement ChatGPT pour m’assurer que mes textes respectent bien les principes de Diversité et d’Inclusion, entre autres pour mes annonces. Mais j’ai dû en amont lui fournir des instructions personnalisées sur la nécessité qu’il reste neutre dans ses réponses.”
Ces paramètres sont disponibles dans le menu personnalisation de ChatGPT, où il est effectivement possible de préciser du contexte concernant l’utilisateur, tels que son métier ou ses objectifs, ou encore le ton qu’il doit respecter dans ses réponses, le format des retours concis ou détaillés, et évidemment sa prise de position ou sa neutralité.
Action n°4 : Éduquer l’IA
Dans son cas, Vanessa alimente régulièrement ses conversations sur ChatGPT avec de la documentation, des articles, et d’autres ressources pour le familiariser aux sujets des biais.
“C’est reconnu, ChatGPT peut présenter des inexactitudes, c’est pour ça qu’il faut continuellement l’entraîner. Aussi, il peut éveiller chez nous le biais de confirmation, voire d’autorité, si on lui accorde trop de poids parce que surestimé.”
Avec le temps, ChatGPT peut finir par penser comme son utilisateur. En lui fournissant régulièrement des ressources différentes, y compris des rappels sur le cadre légal en matière de discrimination par exemple, Vanessa lui permet d’ouvrir son champ de réponses et de gagner en fiabilité.
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Vers une IA inclusive
Le futur de l’IA est très prometteur.
De nouvelles solutions ludiques ont émergé ces dernières années, avec Inclusi, le premier convertisseur de textes en français inclusif, ou encore l’analyseur d’offres d’emploi d’A Compétence Égale.
D’autres donnent une impression plus “Black Mirror” allant jusqu’à analyser nos expressions faciales ou le ton de notre voix comme le fait déjà Hume, l’IA qui scanne les émotions en temps réel.
Cependant, le mot d’ordre à retenir, est que l’IA ne remplace pas l’humain, elle le complète.
Pour en tirer pleinement parti dans le recrutement, il est impératif de former à son utilisation et à l’interprétation des résultats qu’elle fournit, combinés à une sensibilisation aux biais cognitifs.
Cela reste un outil qui ne peut se substituer à l’entretien structuré, la méthode d’évaluation qui demeure la plus fiable pour un recrutement égalitaire.
L’intelligence artificielle est puissante, mais son efficacité dépend de la manière dont elle est utilisée, et surtout, de la vigilance des recruteurs face aux biais qui peuvent encore subsister.