Ludopédagogie : les règles du « je » en formation

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Faut-il former plus ou former mieux ? Et si l'on pouvait combiner les deux ? Aujourd'hui, entreprises et salariés ont compris l'importance de se former tout au long de sa vie professionnelle. Mais voilà, les anciens modèles de la formation ne sont plus adaptés aux attentes et surtout aux envies des salariés. Parmi les nouvelles tendances de la formation, avez-vous déjà entendu parler de la ludopédagogie ?

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Sommaire de l'article

« Le jeu est la respiration de l’effort, l’autre battement du cœur,
il ne nuit pas au sérieux de l’apprentissage. Il en est le contrepoint.
Et puis jouer avec la matière, c’est encore nous entraîner à la maîtriser. »
 

Daniel Pennac, Chagrin d’école.

Imaginez…

Lucie a bientôt 40 ans. Elle travaille dans l’agroalimentaire. Il y a quelques mois, suite à une promotion, elle s’est retrouvée à la tête d’un service de dix personnes. Pour l’aider dans ses nouvelles missions d’encadrement, son supérieur hiérarchique lui a proposé de suivre une formation en management. Lucie est donc partie 3 jours en formation.

Au moment d’entrer dans la salle, le formateur l’a accueillie et lui a tendu une feuille : sur celle-ci, le descriptif du rôle qu’elle allait devoir tenir pendant la journée. Elle serait la manager d’une équipe de 4 personnes avec différentes problématiques : une collaboratrice bientôt à la retraite qui ne sera pas remplacée, un collaborateur qui a fait une demande de temps partiel et un autre qui aurait voulu avoir son poste à elle.

À côté de Lucie, dans la salle, Zahim : lui aussi a un rôle fictif. Idem pour Guillaume un peu plus loin et Sarah, José et Louise. Le formateur va alors s’adresser à l’ensemble du groupe : « L’entreprise Sphère pour laquelle vous travaillez a choisi cette année de ne pas fermer pendant le mois d’août. Vous devez donc planifier avec vos équipes les permanences de la période estivale. Comment vous y prenez-vous ? ».

Les participants, au début décontenancés par cette manière de faire, vont alors se prendre au jeu et répondre en fonction des éléments qu’ils ont à leur disposition. Le formateur synthétise les réponses et offre ainsi d’apporter du contenu, mais en se basant sur l’engagement des participants plutôt que sur un mode d’information « descendant ».

Ce formateur a ainsi dynamisé son intervention en se basant sur les principes de la ludopédagogie.

La ludopédagogie (parfois appelée aussi gamification), c’est utiliser les ressorts du jeu au service de l’apprentissage. Mais pourquoi recourir au jeu en formation ? Au-delà de l’aspect ludique qui, certes, permet une « respiration » pour les participants, y a-t-il un vrai intérêt pédagogique ? N’est-ce pas seulement un gadget innovant de plus ?

Impliquer les participants

En dépit de l’avancée des réflexions sur la pédagogie pour adultes, de l’apport des neurosciences ou de l’utilisation du digital, notre mode de fonctionnement en formation demeure encore trop « descendant ». Le formateur détient le savoir et le diffuse auprès des participants. Ceux-ci écoutent, prennent des notes, posent des questions. Leur engagement est minimal.

Et c’est précisément cette notion d’engagement qui rend pertinent le recours au jeu.

L’engagement est essentiel à l’apprentissage : des études[1] ont ainsi montré que plus le participant se sentait engagé dans un processus, mieux il retenait. Et non seulement il retenait mieux ce qu’on lui disait, mais surtout il le retenait plus longtemps.

Le jeu est une affaire de participation, d’engagement justement. Ne dit-on pas « se prendre au jeu ? ». On s’investit, on cherche à comprendre les règles, à avancer. Le participant est acteur, ses décisions ont des conséquences, il est en interaction constante avec les autres joueurs. Il ne peut pas ne pas agir.

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Se tromper pour apprendre

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On le sait désormais, se tromper est fondamental dans le processus d’apprentissage. Pour citer Aurélie Van Dijk dans son ouvrage « Réinventez vos formations avec les neurosciences » : « Notre cerveau est fait pour traiter l’erreur en vue d’ajuster nos comportements. L’erreur est par conséquent une information utile, voire essentielle, à l’apprentissage ».

Après l’importance de l’engagement, le deuxième avantage de recourir au jeu en formation concerne donc le droit à l’erreur. Ce que les anglo-saxons appellent « freedom to fail », littéralement « la liberté d’échouer ». Dans nos processus de formation aujourd’hui, il n’existe pas vraiment de « seconde chance ».

Pour résumer grossièrement on peut dire que l’on réussit ou que l’on rate. Du coup l’état d’esprit des participants en formation est conditionné par ces schémas. Comment expérimenter des choses différentes si le droit à l’erreur n’existe pas ?

L’un des intérêts du jeu est que l’on peut perdre bien sûr, mais on peut surtout recommencer. On peut aussi acquérir des bonus, des vies supplémentaires… Et puis le but du jeu n’est pas toujours d’arriver le premier.

Ainsi par exemple, le jeu Tokaido (Funforge, 2012) propose un concept original : en effet pour gagner il faut avoir su prendre son temps et amasser des souvenirs tout au long du chemin. Être premier sans avoir profité des paysages ou de la nourriture des petits restaurants ne vous apportera rien.

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Le jeu en formation permet de prendre le temps, de regarder « à côté » et de prendre des décisions « pour voir ». Au joueur / participant ensuite d’assumer les conséquences de celles-ci… mais grâce au jeu, il aura pu s’entraîner avant de retourner dans la « vraie vie », il aura « appris de ses erreurs ». Et surtout il se sera trompé sous le regard bienveillant du formateur et du reste du groupe.     

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Utiliser les caractéristiques du jeu

Nous venons de voir deux points importants qui appuient l’intérêt du jeu en formation : renforcer l’engagement et faciliter le droit à l’erreur. En dehors du jeu en tant que tel (création d’un jeu de plateau ou « détournement » d’un jeu existant), on peut aussi appliquer certains des principes de la ludopédagogie pour une conception différente de la formation.

Ainsi, on pourra utiliser ces trois ressorts du jeu : le storytelling (la capacité à raconter une histoire), la courbe d’intérêt et le feedback (informations immédiatement disponibles suite à une action).

Le storytelling

Écrire son contenu de formation comme une histoire (le storytelling), c’est faire comme le formateur du début de l’article. C’est plonger les participants dans un contexte avec des personnages auxquels s’identifier, c’est donner du « corps ».

Nos cerveaux sont conditionnés pour mieux réagir à une histoire qu’à une liste d’informations sur un PowerPoint[2]. D’après Uri Hasson, de l’université de Princeton, « une histoire est la seule façon d’activer toutes les zones du cerveau pour que la personne qui l’écoute transforme l’histoire à sa façon, la relie à sa propre expérience ».

Ainsi utiliser les ressorts de l’histoire en formation permet aux participants de s’immerger plus rapidement dans un contexte et de mieux retenir les informations qu’on leur apporte. C’est aussi le « fil rouge » qui donnera une cohérence à l’ensemble du contenu.

Dans toute bonne histoire, comme dans tout bon jeu, il y a ce que l’on nomme la « courbe d’intérêt ». Cette courbe montre l’enchaînement des événements qui vont rythmer le jeu/l’histoire et qui vont permettre de maintenir l’attention des joueurs.

La courbe d’intérêt

Courbe d’intérêt, Karl M.Kapp

Comme le montre la courbe ci-dessus, issue des travaux de Karl M.Kapp sur la gamification[3], il faut prévoir du rythme dans la formation : on commence par une situation qui interpelle tout de suite (la question de notre formateur au début de l’article) afin de mobiliser l’attention puis on travaille à sa résolution : l’attention descend un peu, mais suit des courbes d’évolution au fur et à mesure de l’avancée des travaux.

Enfin on termine par un « rebondissement », une information forte et importante qui remobilise tout le monde avant la conclusion. Ces différentes étapes de mobilisation de l’attention sont autant de points d’ancrage qui faciliteront l’intégration des informations présentées et la bonne réutilisation de celles-ci en temps voulu.

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Le feedback

Cette notion de « feedback » est également importante lorsque l’on parle de ludopédagogie en formation. Le feedback c’est le « retour » que vous pouvez avoir suite à une action.

Pendant un jeu (vidéo ou de plateau), le joueur accède à beaucoup de feedback après chaque action, par exemple les ressources qu’il lui reste (armes, argent, nourriture…) ou sa courbe de vie… Or comme on l’évoquait plus haut, on observe la même importance du feedback que de l’engagement en formation : plus le participant l’expérimente, plus il en a, mieux il retient.

En formation, le feedback peut prendre la forme de quizz proposés rapidement, « sur le moment » pour vérifier qu’une notion a bien été comprise. C’est aussi demander à un participant de résumer les points importants vus pendant une séquence. Toutes ces informations contribuent au feedback, elles aident le participant à « ancrer » ce qui a été vu.

Nous évoquions plus haut l’importance de l’erreur dans l’apprentissage. L’intérêt de l’erreur s’appuie notamment sur le feedback immédiat que l’on va avoir suite à notre erreur : les conséquences de notre décision, le retour du formateur, une intervention d’un participant. Le jeu offre une bonne plateforme pour que ce feedback se déploie.

En résumé

Cet article a « abattu » quelques-unes des cartes de la ludopédagogie… Elle recèle beaucoup d’intérêts, elle offre un ensemble de ressorts à mettre en œuvre pour que la formation devienne non seulement plus ludique, mais gagne aussi en valeur pédagogique. Le participant est au cœur du dispositif, il est acteur et interagit avec le contenu et les autres participants de manière plus personnelle et plus efficace.

« Joue et tu deviens sérieux » disait Aristote. Pensait-il déjà à la formation du 21ème siècle ?


[1]A desire to be taught: Instructional consequences of intrinsic motivation. M.R. Lepper, D.I. Cordova 1992 Motivation and Emotion v16 no3 p187-208=

[2]http://www.nytimes.com/2012/03/18/opinion/sunday/the-neuroscience-of-your-brain-on-fiction.html?adxnnl=1&pagewanted=all&adxnnlx=1354716276-vBCJNxgtIuIFGnU+PmkBpA&_r=1

[3]The gamification of learning and instruction, Karl M. KAPP. Pfeiffer. 2012.