Le bien-être des salariés au travail, un effet de mode !

Le bien-être des salariés au travail, un effet de mode !
Virginie Ardouin

La QVCT ne serait-elle pas surfaite finalement ? Découvrez l’interview exclusive d’une entreprise où la QVCT n’est pas une priorité !

Bien-être au travail, santé mentale, épanouissement….En cette semaine de la qualité de vie et conditions de travail (QVCT), vous ne pourrez pas échapper à cette injonction du bonheur au travail et aux nombreux conseils pour des séances de yoga hebdomadaire ou des ateliers de jardinage ! 

Mais est-ce que les entreprises doivent rendre leurs salariés heureux pour être productives ? La preuve avec ce témoignage exclusif que le bien-être des salariés n’est pas une condition de performance. 

Nous avons rencontré Jean-Paul C, dirigeant de JustForMoney, qui considère que les politiques de qualité de vie et conditions de travail sont surtout « un effet de mode. Ici, on travaille, je n’ai pas à rendre mes salariés heureux en prime Ce n’est pas le deal du contrat de travail. D’ailleurs le mot travail vient du latin tripalium qui était un instrument de torture. Ca ne s’invente pas !» 

Le ton est donné : chez JustForMoney, on est là pour travailler. Pas d’actions en faveur du « bien-être des salariés » mais une politique des ressources humaines axée sur le travail, que le travail, rien que le travail. Le bonheur est une affaire privée que l’entreprise n’a pas à gérer.

Interview d’un chef d’entreprise qui refuse l’injonction du bonheur au travail  et qui pratique la « Non à la Qualité de Vie et Conditions de Travail » (NQVCT)

Une productivité inégalée sans démarche de QVCT

Le cahier de commande est plein, avec des délais de production de plus en plus courts. C’est la clé du succès de JustForMoney : un service rendu en un temps record. 

Pour cela, le fondateur de JustForMoney est bien conscient que cette réussite financière repose sur ses équipes : « on a les meilleurs, on les paye assez chers pour ça. Ils sont experts dans leurs domaines, ce qui nous évite de les former en permanence».

La charge de travail est importante, chez JustForMoney. Pas de risque de bore out[1] chez les salariés qui n’ont pas le temps de souffler entre deux dossiers.

D’ailleurs, le management est fier de constater que ce sont les collaborateurs qui ont mis en place des organisations de travail efficaces pour finir leurs tâches. Une créativité d’autant plus remarquable que les outils informatiques sont souvent en panne.

Jean-Paul C. se voit comme un précurseur avec la fin des réunions d’équipe. « Les réunions sont une perte de temps. On n’est pas là pour parler de ce que les salariés font le week-end ! J’apprends quand même leur prénom la veille de notre point annuel, c’est la moindre des choses».

Le  travail d’équipe n’est pas valorisé au profit d’une « saine » compétition individuelle entre collaborateurs. C’est plus stimulant pour les collaborateurs et cela évite les tensions entre collègues notamment lors des augmentations de salaire.

Preuve que les salariés sont impliqués, ils sont tous présents dans les locaux (sauf la moitié de l’équipe qui est en arrêt maladie). L’entreprise n’a pas été confrontée à la difficulté de faire revenir les collaborateurs sur site puisqu’il n’y a pas de télétravail autorisé. « Dans télétravail, y’ a télé donc on sait à quoi ils passeraient leur journée. » justifie le dirigeant de JustForMoney.

En contrepartie, les horaires de travail sont flexibles. Tôt le matin et tard le soir. Plus précisément, les salariés arrivent tôt le matin et quittent leur poste tard le soir. « Si un collaborateur part à 17 heures, je vérifie s’il n’a pas posé sa demi-journée ! » précise un des managers.

Jean-Paul C. a bien reçu quelques demandes d’aménagement pour des motifs familiaux, mais qui n’ont pas eu de suite. Car la direction de JustForMoney a des valeurs très claires et transparentes sur la conciliation vie professionnelle et vie personnelle « La famille, les loisirs, les amis, c’est la vie privée, cela ne me regarde pas. Je suis très attaché à mettre une réelle frontière entre vie professionnelle et vie personnelle. »

Quand nous relevons qu’il y a peu de femmes dans l’entreprise, Jean-Paul C. est bien conscient que les exigences du travail sont fortes, notamment en termes de charge de travail et d’horaires : « je comprends tout à fait que les salariées qui sont mères puissent ne pas tout gérer. C’est pour protéger les mamans que nous avons mis en place un parcours professionnel spécifique avec une absence de promotion pendant 10 années pour éviter de leur rajouter des responsabilités en plus ».

Quant à l’obligation légale de négocier un accord sur la QVCT, Jean-Paul C. se défend de ne pas respecter ses obligations. « Les salariés n’ont rien demandé donc on a négocié ce qu’ils voulaient : rien ! »

Le dirigeant de JustForMoney nous précise qu’il a essayé de suivre la tendance du « bien-être des salariés » il y a quelques années. « J’ai acheté un babyfoot, le plus gros investissement réalisé pour les salariés. Personne n’y joue, il prenait la poussière, alors je l’ai recyclé en table de travail pour que les salariés puissent continuer à travailler même en prenant leur café ». 

Pour la direction de JustForMoney, le constat est simple : il n’y a aucune raison de mettre en place des actions de QVCT, la productivité est excellente et la situation financière de l’entreprise est plus que satisfaisante.

Mais que pensent les salariés de JustForMoney de leur entreprise ? Sont-ils satisfaits de leurs conditions de travail ?

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La perception des salariés (ou l’envers du décor)


Les salariés ont refusé de s’exprimer de peur de représailles de la direction. Nous avons pu recueillir des témoignages anonymes ou de (très) nombreux anciens salariés de JustForMoney, qu’ils ont rebaptisée « JustForBaloney »[1]

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Un ancien salarié qui a démissionné suite à un burn-out nous raconte :  « je voulais juste un peu de temps pour moi, pour voir mes enfants. Je n’avais même pas pu être présent pour la naissance du petit dernier, car j’avais 5 dossiers à finir dans le week-endAlors oui le salaire était plus que confortable, mais le prix à payer pour ma santé était trop élevé. »

Entre deux portes, certains salariés nous avouent qu’ils sont démotivés, les dossiers sont bâclés et les clients de plus en plus mécontents de la qualité de la prestation. Et comme les nouveaux collaborateurs ne sont pas formés aux process de l’entreprise, les erreurs se multiplient. 

Un collaborateur nous explique qu’il ne sait même plus pourquoi il vient au bureau le matin. « On fait ce qu’on nous demande de faire, sans pouvoir poser de questions ou proposer des solutions plus adaptées. Je suis frustré de rendre des dossiers de si mauvaise qualité.»

Outre l’omerta du silence qui règne dans les bureaux, beaucoup de collaborateurs sont absents. Accident du travail, maladie de longue durée ou multiplication des arrêts de travail de courte durée, JustForMoney atteint un taux d’absentéisme record de 50% (alors que le taux observé par l’IFOP est de 5,4% en 2022).

Interrogé sur le sujet, Jean-Paul C. admet que les chiffres sont élevés, mais nous donne son  explication : « des petites natures qui tombent malade pour un oui ou pour un non. Ou juste pour ne pas venir travailler. On me parle de dépression mais  le burn-out, c’est un truc inventé par les psy. J’ai jamais vu le travail rendre malade quelqu’un ! Mon grand-père le disait bien : le travail, c’est la santé ». 

Sans compter le turn-over dans les équipes où il devient de plus en plus difficile de recruter. Certains postes sont vacants depuis des mois, les missions sont réparties avec une charge de travail supplémentaire que certains collaborateurs ne savent plus comment gérer.

De nombreux salariés candidatent à la concurrence « ce n’est même pas une question d’argent, nous précise un chef de projet, je veux juste avoir plus de temps pour ma famille, être content d’aller au bureau le matin ».

Pour Jean-Paul C, les salariés qui ont démissionné dernièrement sont des « traitres à l’entreprise1 de perdu 10 de retrouvés» mais il admet qu’il a de plus en plus de mal à les remplacer. Les candidatures sont de plus en plus rares même si les métiers concernés ne sont pas pénuriques. 

Ce qu’ignore le dirigeant de JustForMoney, c’est que son entreprise a une très mauvaise réputation sur les réseaux sociaux. De quoi faire fuir les plus persévérants et motivés des candidats quand ils lisent les avis sur Glassdoor ou Indeed sur les locaux dégradés ou les méthodes de management considérées comme dignes de Germinal.

Une situation qui commence à coûter très cher à l’entreprise qui n’arrive plus à remplir ses engagements envers les clients, tant sur les délais des dossiers que sur la qualité de prestation, faute de collaborateurs présents, remplacés ou tout simplement performants.

Mais hors de question pour le fondateur de JustForMoney de remettre en cause sa position : les actions favorisant la QVCT n’ont aucun impact sur la performance de son entreprise. Elles coutent cher en temps et en budget sans aucun retour immédiat sur investissement.

D’ailleurs, il n’y a aucun rapport entre la perte de son plus gros client insatisfait des dernières prestations et la démission de ses meilleurs collaborateurs. Un simple concours de circonstances.

Conclusion de notre enquête exclusive


Bien évidemment, Jean-Paul C. et l’entreprise JustForMoney sont purement fictifs et toute ressemblance avec une situation réelle n’est malheureusement pas fortuite. En effet, la réalité dépasse parfois la fiction et certaines entreprises sont encore réticentes à mettre au cœur de leur stratégie l’épanouissement de leurs collaborateurs.

Or, les démarches de QVCT ont un réel impact sur la performance d’une entreprise. Lorsque les salariés sont dans un environnement de travail positif, ils sont plus motivés, plus productifs et plus créatifs. « Prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise » dixit Richard Branson, le fondateur de Virgin. 

Et pour les plus sceptiques comme Jean-Paul C., une étude de l’Université de Warwick en 2017 a démontré que la productivité d’un salarié heureux augmente de 12 %.

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A contrario, l’absence de toute action sur le développement professionnel et le bien-être des salariés peut coûter cher : absentéisme, impact sur la santé physique et mentale des salariés, turn-over, démotivation et désengagement des collaborateurs.

La QVCT n’est pas un effet de mode, c’est un véritable enjeu pour les entreprises qui veulent construire une performance durable en proposant un environnement de travail épanouissant et positif à ses collaborateurs. 

Et pour les meilleures pratiques et actions à mettre en place pour améliorer la QVCT de vos collaborateurs, ne suivez pas les conseils de Jean-Paul C. mais ceux des experts de Culture RH !

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[1] Baloney = balivernes 

[1] Bore-out : pathologie d’origine professionnelle qui se caractérise par l’ennui au travail entrainant une dégradation de la santé mentale du salarié 

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Virginie Ardouin

Avocate de formation, je suis consultante juridique et Responsable Ressources Humaines en temps partagé auprès de TPE/PME de tous secteurs. J'interviens également en tant que formatrice en droit social, RH et management.