Pour ce mois d’octobre, nous avons sélectionné, d’une part, deux jurisprudences centrées sur la distinction entre vie personnelle et vie privée du salarié (distinction qui alimente souvent la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation) et, d’autre part, quelques arrêts de jurisprudence choisis autour de thèmes plus variés tels que le rattrapage salarial suite à un congé maternité, le contrôle de la durée de travail du salarié, le changement d’employeur du salarié et enfin, les délais de prescription des actions concernant la clause de non-concurrence.
Bonne lecture !
Vie personnelle et vie privée du salarié
Ce qu’il faut retenir
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
Cass.soc. n°22-20.672, 25 septembre 2024
Le cas détaillé
Un salarié est contrôlé, après sa journée de travail, sur la voie publique, à bord de son véhicule en possession d’un sac contenant du cannabis. Averti par la police judiciaire, l’employeur licencie le salarié pour faute grave.
Le chauffeur de bus conteste son licenciement.
La Cour d’appel prononce la nullité du licenciement en raison de l’atteinte portée au droit fondamental du salarié à sa vie privée, et sa réintégration au sein de l’entreprise.
Saisie en cassation, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et juge le licenciement non nul, mais sans cause réelle et sérieuse. En effet, d’une part, le motif de la sanction est tiré de la vie personnelle du salarié, mais non de l’intimité de sa vie privée : les faits reprochés se sont produits sur la voie publique et aucune liberté fondamentale n’a été violée, le licenciement ne peut donc pas être atteint de nullité. D’autre part, les faits ne constituent pas un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail. Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Ce qu’il faut retenir
Le licenciement fondé sur un motif tiré de l’intimité de la vie privée entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
Cass. Soc.25 septembre 2024, n°23-11.860
Le cas détaillé
Un salarié, licencié pour faute grave, notamment, en raison du contenu de propos échangés lors d’une conversation privée avec trois autres personnes par messagerie professionnelle, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle, saisit la juridiction prud’homale.
Les juges d’appel déclarent le licenciement nul et condamnent l’employeur à verser au salarié diverses sommes dont une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité pour licenciement nul et des dommages-intérêts.
Saisie en cassation, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel. Elle rappelle que le salarié a droit, sur son lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, ce dont relève le secret des correspondances. L’employeur ne peut donc pas, sans violer cette liberté fondamentale du salarié, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.
De plus, cette conversation privée n’était pas destinée à être rendue publique et ne constituait pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail.
Ce licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est donc injustifié et est atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié.
Les deux arrêt ci-dessus permettent à la chambre sociale de la Cour de cassation de rappeler les principes suivants :
- Une distinction doit être faite entre vie personnelle et vie privée du salarié. Les faits relevant de la vie personnelle du salarié ne relèvent pas forcément de l’intimité de sa vie privée.
- Le droit au respect de la vie privée est une liberté fondamentale dont la violation est sanctionnée par la nullité. Un licenciement fondé sur un motif tiré de la vie privée du salarié porte donc atteinte à une liberté fondamentale du salarié et, à ce seul titre, est frappé de nullité.
- Un licenciement fondé sur un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas être atteint de nullité.
- Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
Congé maternité
Ce qu’il faut retenir
Un rattrapage salarial consécutif à une évolution de la rémunération des salariés n’est pas dû pour la période du congé de maternité, pendant laquelle le contrat de travail est suspendu .
Cass.soc. n°23-11.582, 2 octobre 2024
Le cas détaillé
Suite à la rupture de son contrat de travail consécutive à son adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle, une salariée saisit la juridiction prud’homale en demandes de paiement de rappels de salaire, d’une indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour avoir été contrainte de travailler pendant son congé maternité et d’avoir été privée, pendant la durée de son congé de maternité, du bénéfice d’une augmentation de salaire accordée à l’ensemble des salariés.
La salariée est déboutée de ses demandes et se pourvoit en cassation.
Une des questions posées à la Cour de cassation est la suivante : le rattrapage salarial d’une salariée en congé maternité doit-il se faire durant ou après le congé maternité ?
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et précise deux points : aux termes de l’article L. 1225-4 du Code du travail, le contrat de travail est suspendu pendant le congé de maternité; aux termes de l’article L. 1225-26 du Code du travail, la rémunération d’une salariée en congé maternité est majorée, à la suite de ce congé, des augmentations générales et individuelles perçues pendant la durée de ce congé par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle. Donc, sauf accord collectif plus favorable, ces augmentations ne sont pas dues pour la période du congé de maternité, durant laquelle le contrat de travail est suspendu. L’employeur n’est tenu de les verser qu’à l’issue de ce congé et pour la période postérieure à celui-ci.
Concernant le fait que la salarié ait été contrainte de travailler durant son congé maternité, la Cour de cassation rappelle que l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu, engage la responsabilité de l’employeur (article 1231-1 du Code civil). La violation par l’employeur de l’interdiction de faire travailler une salariée pendant son congé maternité se sanctionne par l’octroi de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi.
Durée du travail
Ce qu’il faut retenir
La géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen.
Cass.soc.n°22-22.851, 25 septembre 2024
Le cas détaillé
Un salarié, distributeur de journaux itinérant, est soumis à un système de contrôle de la durée de son temps de travail.
La Cour d’appel retient que le dispositif peut valablement être mis en place par l’employeur, dès lors qu’il apparait comme le seul moyen possible.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel. Elle rappelle qu’un dispositif de géolocalisation porte atteinte à la vie privée des salariés, qu’il n’est pas justifié lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail et qu’il n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, même moins efficace.
En l’espèce, la Cour d’appel n’avait caractérisé ni l’absence de liberté dont le salarié disposait pour l’organisation de son travail ni que le contrôle de la durée du travail ne pouvait pas être opéré par un autre moyen.
Mutation interentreprise d’un salarié
Ce qu’il faut retenir
Un salarié ne peut pas être contraint d’accepter un changement d’employeur, et un refus de sa part ne peut justifier un licenciement.
Cass.soc. n°23-10.326, 4 septembre 2024
Le cas détaillé
Une salariée se voit proposer une mutation dans une autre entité au sein du même groupe. Suite à son refus, elle est licenciée.
Saisie en cassation, La Cour de cassation rappelle d’une part, le principe selon lequel le changement d’employeur, dans un groupe de sociétés juridiquement distinctes, ne peut pas se faire sans l’accord explicite du salarié.
D’autre part, elle confirme que le refus de la salariée d’être mutée ne constitue pas un motif légitime de licenciement et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Je télécharge les 8 fichesSur le même thème, La cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 25 septembre 2024, n° 23-15.220, que le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre, hormis le cas où ce transfert intervient dans le cadre de l’article L 1224-1 du Code du travail, à savoir le cas du transfert légal du contrat de travail suite à une modification juridique de l’employeur telle qu’une vente de l’entité, une succession, une fusion…., constitue une modification de ce contrat. Ce transfert ne peut donc pas intervenir sans l’accord exprès du salarié, lequel ne peut pas résulter de la seule poursuite du travail.
Clauses de non-concurrence : délais de prescription des actions engagés par le salarié
Cass.soc. n°23-12.844, 2 octobre 2024
Le cas détaillé
Un salarié est soumis à une clause de non concurrence d’une durée de trois ans. Suite à sa démission, le salarié conteste la régularité des clauses de non-concurrence et de non sollicitation de clientèle présentes dans son contrat et le fait qu’elles n’aient pas donné lieu au versement d’une contrepartie financière. Trois ans après la rupture de son contrat de travail, le salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de dommages-intérêts pour la stipulation d’une clause de non-concurrence illicite et pour non-respect de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Le conseil des prud’hommes ainsi que la Cour d’appel considèrent ses demandes prescrites.
Le salarié se pourvoit en cassation.
La question qui se pose à la Cour de cassation est celle des délais de prescription de la demande en paiement de dommages-intérêts pour l’illicéité de la clause de non-concurrence d’une part, et pour les dommages-intérêts dus pour non respect de la clause de non-concurrence, d’autre part.
Cet arrêt donne à la Cour de cassation l’occasion de repréciser plusieurs points :
- La licéité d’une clause de non -concurrence se rapporte à l’exécution du contrat de travail, et, à ce titre, se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent d’exercer son droit.
- Lorsque cette clause est déclenchée du fait de la rupture du contrat de travail, le délai de deux ans court à compter de la mise en œuvre de la cause, c’est-à-dire à compter de la rupture du contrat de travail.
- La contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence a la nature d’une indemnité compensatrice de salaire et, à ce titre, suit le régime prescriptif des salaires. Cette indemnité se prescrit donc par trois ans à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d’exercer une action.
En l’espèce, seules les sommes dues au titre de la contrepartie financière de la clause de non concurrence non payée peuvent être réclamées dans le délai de trois ans après la rupture du contrat de travail.
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