Il est bien légitime qu’un employeur veuille exercer une surveillance dans son entreprise, que ce soit pour assurer la sécurité des biens ou celle des salariés. Avec un rôle croissant dans la sécurité des entreprises, la vidéosurveillance devient un outil incontournable pour prévenir les vols, les agressions et même les actes de terrorisme.
Cependant, bien que légale, la surveillance sur le lieu de travail, qu’elle soit visuelle ou sonore, suscite de nombreuses questions juridiques et éthiques, notamment en ce qui concerne le respect de la vie privée des salariés et le respect des libertés individuelles.
Que dit la loi concernant la surveillance par l’employeur des salariés sur le lieu de travail ? Comment concilier la nécessité de sécurité avec les droits des employés ?
Pouvoir de surveillance de l’employeur : un pouvoir conditionné au respect de plusieurs lois et principes fondamentaux.
L’employeur dispose d’un pouvoir de direction qui inclut la faculté de surveiller et de contrôler l’activité de ses salariés sur leur lieu de travail, par la vidéosurveillance notamment. Toutefois, ce pouvoir de surveillance n’est pas absolu. Il est très encadré par plusieurs lois dont le Code du travail, le RGPD et les règles de la CNIL.
Ces lois sont contraignantes pour l’employeur et conditionnent la légalité de son pouvoir de surveillance au respect des principes fondamentaux suivants.
Respect de la vie privée des salariés
Au regard de l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. L’employeur n’a donc pas à s’immiscer dans la vie personnelle de son salarié, en dehors de l’exécution du contrat de travail, mais également lorsque le salarié est, dans l’entreprise, sous la subordination de l’employeur. En effet, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.
Vidéosurveillance et vie privée des salariés
Afin de garantir le respect de la vie privée des salariés, il est interdit de placer des caméras dans des lieux où les salariés exercent leur droit à la vie privée, à savoir les vestiaires, toilettes, salles de pause ou lieux syndicaux.
Les caméras ne doivent pas filmer les employés à leur poste de travail, sauf dans des situations spécifiques : par exemple, un employé manipulant de l’argent, où la caméra doit principalement surveiller la caisse plutôt que l’employé ou encore un entrepôt contenant des biens de valeur où travaillent des manutentionnaires.
Surveillance par micro et vie privée des salariés
L’installation de micros pour enregistrer les conversations des salariés est soumise à des restrictions encore plus strictes. La CNIL considère que la captation sonore permanente constitue une atteinte excessive à la vie privée et est interdite en principe.
Deux exceptions existent cependant :
- Dans les centres d’appels : l’enregistrement des conversations peut être autorisé pour évaluer la qualité du service, sous réserve d’en informer les salariés et d’obtenir leur consentement.
- Dans certains lieux à haut risque tels que banques ou bijouteries, l’enregistrement sonore peut être utilisé pour des raisons de sécurité, mais toujours avec une information préalable des salariés.
Principe de finalité légitime et proportionnée au but recherché
L’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
La loi impose donc que toute surveillance des salariés obéisse à deux conditions :
Une justification légitime
La vidéosurveillance doit poursuivre un objectif légal et légitime et être motivée par la nature de la tâche à accomplir ou par des raisons précises telles que la sécurité des biens (préventions des cambriolages, de la dégradation des bureaux ou encore prévention du vol) ou des personnes (contrôle des comportements inadaptés, tels qu’agressions, intrusions ou accidents du travail).
Si la faute d’un salarié est révélée grâce au système de vidéosurveillance, il faut que le mécanisme ait été utilisé pour assurer la sécurité des clients d’un magasin et de leurs biens. C’est à cette condition que l’enregistrement peut servir de preuve.
Des preuves obtenues par des procédés illicites ne seront pas considérées comme valides et ne pourront pas justifier une sanction disciplinaire. Un licenciement disciplinaire fondé sur ces preuves illicites serait sans cause réelle et sérieuse.
Le principe de proportionnalité
L’employeur doit veiller à ce que la surveillance soit proportionnée au but recherché et qu’elle ne soit pas excessive ou permanente. Une surveillance permanente des salariés par la vidéo doit être condamnée dans son principe, en raison de l’atteinte qu’elle porte à l’identité de l’individu.
Ont été jugées disproportionnées les situations suivantes :
- L’installation par un centre commercial d’un système de vidéosurveillance de 180 caméras sur le site filmant notamment certains espaces réservés au personnel (vestiaires, salles de pause, sanitaires, bureaux, couloirs…) et de 60 caméras filmant les mains des employés de caisses. La CNIL a sanctionné le centre commercial pour surveillance excessive, permanente et disproportionnée des salariés. (CNIL, décision n°20213-029, 12 juillet 2013).
- Des caméras équipées de microphones permettant d’entendre et d’enregistrer les conversations des salariés.
- La surveillance constante, par des caméras, d’un salarié travaillant seul en cuisine d’une pizzeria, surveillance jugée disproportionnée par la Cour de cassation et portant atteinte à la vie privée du salarié. (Cass.soc. 23 juin 2021 n°19-13.856).
L’information préalable des salariés
Conformément à l’article L. 1222-4 du Code du travail, les salariés doivent être informés de l’existence ou de la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance, au sein des locaux de travail. L’article L. 2312-38 du Code du travail prévoit l’information et la consultation au préalable du Comité social et économique. Il pourra ainsi se pencher sur l’étude des moyens ou des techniques permettant la surveillance des salariés.
De même, conformément à l’article 13 du RGPD et à l’article 104 de la loi « Informatique et Libertés », l’employeur est tenu d’informer les personnes concernées, que ce soit les salariés ou les visiteurs extérieurs, de la présence de tels outils de surveillance.
En principe, l’employeur peut utiliser les images de vidéosurveillance comme preuve pour justifier une sanction disciplinaire ou une action pénale que s’il a respecté toutes les conditions préalables présentées ci-dessus.
Si ces conditions ne sont pas respectées, la légalité de l’utilisation des images de vidéosurveillance comme preuve est remise en question.
Il est de jurisprudence constante que La Chambre sociale de la Cour de cassation considère que la preuve produite par télésurveillance « à l’insu du salarié et sans information préalable ni consultation des représentants du personnel, est illicite.
Cependant, une jurisprudence récente du 14 février 2024 ( Cass.soc.14 février 2024, n°22-23.073) redéfinit les contours de l’usage abusif de la vidéosurveillance : « Le licenciement pour faute grave d’une salariée fondé sur le visionnage d’une vidéosurveillance de sécurité est justifié malgré la clandestinité du procédé, dès lors que cette preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi ».
Il s’agit d’un revirement de jurisprudence, qui autorise désormais le juge à accepter des preuves déloyales. Le juge doit vérifier si la production de la preuve clandestine est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et si l’atteinte portée est proportionnée au but poursuivi.
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Dans ce cas précis, « la production des bandes vidéos était indispensable à l’exercice du droit de la preuve de l’employeur, la matérialité des faits reprochés à la salariée ne pouvant être rapportée par d’autres moyens ».
À noter : ces règles ne concernent pas l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance, destiné à assurer la protection de pièces ou locaux non accessibles aux salariés, tels qu’entrepôts ou autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas, l’employeur est dispensé de l’obligation d’information préalable des salariés.
La mise en œuvre du pouvoir de surveillance de l’employeur
Les règles d’installation de caméras et micros sur le lieu de travail
Comme nous venons de le voir, l’employeur conserve le droit d’installer un dispositif de télésurveillance, à condition de respecter quelques principes fondamentaux.
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J’accède au kit pratiqueMais la mise en place elle-même de ces dispositifs est également assortie d’un cadre légal strict.
Tout d’abord, les règles de recours à la vidéosurveillance diffèrent selon que le dispositif concerne un lieu privé (un parking réservé au personnel d’une entreprise, un entrepôt, des bureaux fermés au public) ou un lieu public (un guichet de banque, un supermarché).
Si le lieu de travail est ouvert au public :
L’article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité prévoit plusieurs cas de recours à la vidéosurveillance pour assurer, notamment, la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux sont particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol ou sont susceptibles d’être exposés à des actes de terrorisme.
Dans ces cas, l’installation d’un système de vidéosurveillance est subordonnée à une autorisation du préfet et, à Paris, du préfet de police, donnée après avis d’une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire.
L’autorisation préfectorale implique que l’employeur ait consulté les représentants du personnel et informé le public de manière claire et permanente et individuellement les salariés de l’existence du système de vidéosurveillance et de l’autorité ou de la personne responsable.
Si le lieu de travail n’est pas ouvert au public :
Le dispositif de vidéosurveillance ne peut être installé que s’il a préalablement fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, sauf désignation d’un correspondant informatique et libertés.
Ainsi, pour des motifs de sécurité, l’utilisation d’une caméra est autorisée dans des locaux professionnels, pour visionner les entrées et sorties de ses salariés, les issues de secours et les voies de circulation de l’entreprise, les zones où le stock est entreposé ou encore filmer la caisse d’un magasin ou un matériel particulier, mais non le salarié qui manipule l’argent ou ce matériel.
En effet, l’employeur doit veiller à ce que les caméras respectent la vie privée des salariés et ne conduisent pas à les placer sous surveillance constante et permanente.
En revanche, comme nous l’avons déjà évoqué, certaines zones dans l’entreprise, sont protégées par la loi et interdites à la vidéosurveillance : les sanitaires, vestiaires et salles de repos, ainsi que les locaux syndicaux et espaces de réunion.
La mise en œuvre de l’obligation d’information des salariés
En présence d’un dispositif spécifique de surveillance des salariés, l’employeur doit procéder à une information préalable des salariés (et des visiteurs) avant de collecter des données.
Le RGPD prévoit que les salariés doivent être informés individuellement de l’existence de traitements contenant des données personnelles les concernant par note, affichage, publication dans le journal interne, courriel, etc.
La CNIL, quant à elle, précise que l’information des salariés doit être donnée “au moyen de panneaux affichés en permanence, de façon visible, dans les lieux concernés, qui comportent a minima, outre le pictogramme d’une caméra indiquant que le lieu est placé sous vidéoprotection :
- Les finalités du traitement installé.
- La durée de conservation des images.
- Le nom ou la qualité et le numéro de téléphone du responsable/du délégué à la protection des données (DPO).
- L’existence de droits Informatique et Libertés.
- Le droit d’introduire une réclamation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en précisant ses coordonnées.”.
Le délégué à la protection des données (DPO) devra être associé à la mise en œuvre du dispositif. Les caméras seront inscrites sur le registre de traitements de données.
Le visionnage et la conservation des images
Seul l’employeur et les personnes spécifiquement habilitées par ce dernier, dans le cadre de leurs fonction, sont autorisés à consulter ces images.
À ce titre, elles doivent être formées et sensibilisées aux règles de mise en œuvre d’un système de vidéosurveillance.
En outre, les accès aux images doivent être sécurisés afin d’éviter une diffusion aux personnes non-habilitées.
C’est à l’employeur de fixer la durée de conservation des images enregistrées sur la caméra de vidéosurveillance, qui, en principe, doivent être conservées pendant un mois maximum, même si une conservation de quelques jours est dans la pratique plus largement répandue.
Dans les faits, si un incident se produit, les images seront consultées dans les jours suivant cet incident. Si elles servent à l’appui d’une procédure (pénale ou disciplinaire), elles sont extraites du dispositif et conservées durant la procédure.
La mise en place de dispositifs de surveillance sur le lieu de travail doit donc être soigneusement encadrée pour respecter les droits des salariés.
En cas de non-respect des règles, l’entreprise encourt :
- Des sanctions civiles et pénales pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas d’atteinte à l’intimité de la vie privée par captation, enregistrement ou transmission sans le consentement de l’intéressé, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.
- Des amendes administratives infligées par la CNIL pouvant atteindre jusqu’à 4% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.
- Preuves déclarées illicites : les enregistrements obtenus de manière illicite peuvent être déclarés irrecevables par les juridictions prud’homales et l’employeur peut être privé de moyens de preuve en cas de litige.
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