Veille jurisprudentielle janvier 2025

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Critères de départage entre salariés, travail du salarié pendant son congé maladie, harcèlement d'ambiance, harcèlement moral institutionnel, les arrêts sélectionnés dans cette veille de janvier 2025 vous apporteront les réponses que vous attendez. Bonne lecture.

Auteur / Autrice

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

veille jurisprudentielle janvier 2025 actualites
Sommaire de l'article
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Pour cette première veille jurisprudentielle de 2025, nous avons sélectionné quelques arrêts intéressants centrés en deux thèmes principaux : le licenciement et le harcèlement.

Sur ce dernier thème, les arrêts choisis utilisent les notions de “harcèlement d’ambiance” et de “harcèlement moral institutionnel” qui doivent attirer l’attention et la vigilance de l’employeur quant à sa responsabilité concernant, non seulement la sécurité et la protection physique et mentale des salariés, mais aussi la qualité du climat de travail au sein de l’entreprise.

Bonne lecture !

Licenciement

1. Reclassement suite à un licenciement économique : vigilance sur les critères de départage

Ce qu’il faut retenir

La liste des postes de reclassement doit indiquer les critères de départage entre salariés. 

Cass.soc. 8 janvier 2025, n°22-24.724

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Le cas détaillé

Une salariée est licenciée pour motif économique. Après avoir adhéré au contrat de sécurisation professionnelle qui lui est proposé, elle saisit la juridiction prud’homale pour faire prononcer la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l’employeur à lui payer diverses sommes, au motif que l’employeur avait diffusé une liste d’offres de reclassement sans mentionner les critères de départage applicables en cas de candidatures multiples sur un même poste. 

Dans cet arrêt, la question qui se pose est celle de savoir si l’absence de mention des critères de départage constitue une simple irrégularité de procédure ou un manquement à l’obligation de reclassement privant le licenciement de cause réelle et sérieuse. 

Pour la juridiction prud’homale et les juges d’appel, l’absence de mention des critères de départage constitue un manquement à l’obligation de reclassement privant le licenciement de cause réelle et sérieuse

Ils donnent donc raison à la salariée et condamne l’association à payer à la salariée diverses sommes en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée du jour du licenciement jusqu’au jour du prononcé de la décision. 

L’association se pourvoit en cassation. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et rappelle qu’en cas de licenciement économique, la liste des postes de reclassement disponible doit indiquer les critères de départages entre les salariés en cas de candidatures multiples. En l’absence de mention des critères de départage, l’offre de reclassement est imprécise, car elle ne fournit pas aux salariés tous les éléments d’information nécessaires à leur réflexion.

Selon elle, cette imprécision constitue un manquement à l’obligation de reclassement qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Avec cet arrêt, la mention des critères de départage apparaît désormais comme une condition de la validité de la procédure.

Cette décision s’inscrit dans la volonté de la Cour de cassation de protéger le salarié, qui l’avait déjà amenée à sanctionner l’absence d’autres mentions obligatoires dans les offres de reclassement.

2. Licenciement pendant un arrêt maladie.

Ce qu’il faut retenir

Un salarié victime d’un accident du travail qui aide bénévolement un ami durant la suspension de son contrat de travail ne manque pas à son obligation de loyauté envers son employeur.

Cass.soc. 27-11-2024, n°23-13.056

Le cas détaillé

Un salarié est placé en arrêt de travail suite à un accident du travail. Pendant cet arrêt, il est licencié pour faute grave pour avoir, notamment, exercé durant son arrêt de travail, une activité concurrente en travaillant sur un chantier chez un particulier, malgré un premier avertissement pour des faits de même nature, et s’être approprié, sans autorisation, du matériel de l’entreprise.

Pour l’employeur, ces actes constituaient des manquements à l’obligation de loyauté du salarié constitutifs d’une faute grave.

Niant tout manquement à son obligation de loyauté à l’égard de son employeur, le salarié saisit la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement.

Les juges d’appel, n’ayant constaté aucun acte de déloyauté pouvant être reproché au salarié, jugent, qu’en l’absence de faute grave, le licenciement est nul. En effet, l’activité concurrente n’a pas été établie, car le salarié est intervenu à titre amical et bénévole, et le détournement de marchandises appartenant à la société n’a pas davantage été établi, le béton ayant été facturé à l’ami.

Saisie en cassation par l’employeur, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et rappelle qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce contrat que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

Pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement, dans le cas d’une rupture pour faute grave, reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’exercice d’une activité pendant un arrêt maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté.

Pour constituer un tel manquement et justifier le licenciement, cette activité doit avoir causé un préjudice à l’employeur ou à l’entreprise, telle que l’exécution par le salarié pour son propre compte d’une activité concurrente de celle de l’employeur.

En l’espèce, la Cour d’appel ainsi que la Cour de cassation ont considéré que l’exercice d’une activité concurrente n’est pas établie dans la mesure où le salarié est intervenu à titre amical et bénévole.

Harcèlement

1. Harcèlement d’ambiance

Ce qu’il faut retenir

L’existence de propos sexistes et d’agissements à caractère sexiste et sexuel peut caractériser un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel

C.A Paris, 26-11-2024, n°21/10408

Le cas détaillé

Une salariée est licenciée pour insuffisance professionnelle. Elle conteste son licenciement et soutient avoir été victime de harcèlement discriminatoire. En effet, elle dénonce :

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  • Des échanges de mails à caractère sexuel entre collègues de travail, des échanges de photographies de « femmes pour partie dénudées ou dans des positions suggestives », assortis de « comportement graveleux » qui, bien que ne la visant pas directement, étaient visibles du fait de l’organisation des postes de travail en open-space. 
  • L’insuffisance des mesures d’investigations menées par l’employeur (notamment s’agissant de l’enquête diligentée en interne).

La Cour d’appel donne raison à la salariée et considère que, bien qu’elle ne soit pas désignée directement par les échanges à teneur sexuelle et sexiste, elle a subi les effets de cette ambiance de travail, qui a été pour elle un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant dont elle ne pouvait pas s’extraire car les postes de travail étaient situés en open-space, et qui a eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé. 

1 – De cette situation, la Cour retient que, sans être directement visée, une salariée peut subir un harcèlement discriminatoire du fait de propos et agissements sexistes caractérisant un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel. Elle en conclut, qu’en l’espèce, le harcèlement discriminatoire est bien caractérisé et indemnise le préjudice subi à hauteur de 6 000 euros.

2- Se fondant sur le principe de protection des salariés témoignant ou dénonçant des agissements discriminatoires, la cour d’appel constate que la lettre de licenciement reproche à la salariée d’avoir dénoncé à tort un fait discriminatoire et qualifie les propos de la salariée de « diffamatoires ».

Or, l’employeur n’ayant pas démontré la mauvaise foi de la salariée, la Cour a considéré que le harcèlement discriminatoire était établi, a déclaré la nullité du licenciement et a accordé à la salarié 29 000 € de dommages-intérêts.

3- Enfin, la salariée reproche à l’employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité, en n’ayant pris aucune mesure pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, notamment au titre de la prévention du harcèlement moral et sexuel et des agissements sexistes, et de ne pas avoir,  en violation des dispositions L.2314-1 du Code du travail,  désigné un référent « harcèlement sexuel ».

La cour d’appel donne raison à la salariée et condamne donc la société à verser des dommages-intérêts pour ces manquements à hauteur de 5 000 €.

Cette notion de « harcèlement d’ambiance » à caractère sexuel utilisé par la Cour d’Appel tend à rendre l’employeur responsable de la qualité du climat de travail dans l’entreprise.

L’employeur, à qui il incombe d’assurer la sécurité et la protection physique et mentale des salariés, doit donc toujours pouvoir justifier qu’il a pris les mesures nécessaires pour prévenir le risque de harcèlement et d’agissements sexistes dans l’entreprise (diagnostic de la situation, actions de sensibilisations et de formations des managers, désignation de référent harcèlement, enquête interne, …).

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Il doit également, le cas échéant, faire cesser les situations susceptibles de relever d’une telle qualification en sanctionnant les dérives éventuelles.

2. Reconnaissance du harcèlement moral institutionnel

Ce qu’il faut retenir

Les dirigeants d’une société peuvent être sanctionnés pénalement pour avoir commis un « harcèlement moral institutionnel », du fait d’une politique d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés. 

Cass. crim., 21 janvier 2025, n°22-87.145, FS-B+R

Le cas détaillé

Le président-directeur général et plusieurs dirigeants d’une grande société mettent en place une politique d’entreprise comprenant :

  •  Un plan de réduction d’effectifs visant 20 000 agents.
  •  Un plan de mobilité interne visant 10 000 agents.

Un syndicat  porte plainte et dénonce les conséquences humaines très lourdes résultant de cette politique touchant un tiers des effectifs.

La société et ses principaux dirigeants sont poursuivis pour « harcèlement moral au travail ». 

Le harcèlement moral au travail, puni par l’article 222-33-2 du Code pénal, est constitué lorsqu’une personne est la cible d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour d’appel condamne la société et ses principaux dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel », sur le fondement de l’article 222-33-2 du code pénal.

Le harcèlement moral institutionnel est constitué lorsque des dirigeants déploient une politique d’entreprise qui, en connaissance de cause, conduit à une dégradation des conditions de travail de tout ou partie de leurs salariés, susceptible de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.  

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation doit répondre à la question de savoir si les dirigeants d’une société peuvent être condamnés sur le fondement de la loi réprimant le « harcèlement moral au travail » pour avoir, en connaissance de cause, défini et mis en œuvre une politique générale d’entreprise de nature à entrainer une dégradation des conditions de travail des salariés.  

Oui répond la Cour de cassation qui confirme l’arrêt d’appel.

Selon elle, le « harcèlement moral institutionnel » entre bien dans le champ du « harcèlement moral au travail » tel que le conçoit le Code pénal qui permet de réprimer les agissements répétés qui s’inscrivent dans une « politique d’entreprise », c’est-à-dire l’ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action. 

Droit à la vie privée du salarié

Ce qu’il faut retenir

L’impossibilité pour un salarié d’être joint en dehors de ses heures de travail, sur son téléphone portable personnel, ne constitue pas une faute justifiant une sanction disciplinaire.

Cass.soc. 9 octobre 2024, n°23-19.063

Le cas détaillé

Un chauffeur routier poids lourd est sanctionné par trois avertissements pour n’avoir pas répondu aux appels et messages de son employeur lors de ses jours de repos.

La cour d’appel donne raison à l’employeur et valide ces sanctions en invoquant une pratique professionnelle établie dans l’entreprise et conforme aux usages du secteur du transport routier. 

Le salarié se pourvoit en cassation. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, estimant que le fait pour un salarié de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif, donc ne permet pas de justifier une sanction disciplinaire.

Cette décision de la Cour consacre une protection essentielle des droits des salariés et s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle.

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