Un mois de novembre riche centré essentiellement sur le licenciement à travers plusieurs de ses facettes : nullité pour atteinte à une liberté fondamentale, indemnités et rappels de salaires en cas de nullité du licenciement, validité de l’offre de reclassement, inexécution du préavis, solde de tout compte et aussi un dernier arrêt sur la période de travail effectif.
Bonne lecture.
Nullité du licenciement pour atteinte à une liberté fondamentale
Ce qu’il faut retenir
Le licenciement intervenu en raison de l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression est nul, comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie.
Cass.soc. 23 octobre 2024 n°23-16.479
Le cas détaillé
Une salariée est licenciée. Elle saisit la juridiction prud’homale et conteste la légitimité de son licenciement, soutenant que celui-ci porte atteinte à sa liberté d’expression, une liberté fondamentale.
Elle demande sa réintégration ainsi que le versement d’une indemnité correspondant aux salaires qu’elle aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration.
la Cour d’appel de Paris accueille la demande de la salariée et condamne l’employeur à lui payer une indemnité équivalente aux salaires qu’elle aurait dû percevoir depuis son licenciement jusqu’à sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement.
L’employeur se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur.
Elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, rappelant tout d’abord que le licenciement pour atteinte à la liberté d’expression est nul, car il viole une liberté fondamentale protégée par l’alinéa premier du Préambule de la Constitution de 1946 et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La salariée a donc droit au versement d’une indemnité d’éviction correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus entre son licenciement et sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement perçus durant cette période.
Cette décision, favorable aux salariés, renforce la protection des libertés fondamentales en milieu de travail et s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence protectrice de la Chambre sociale de la Cour de cassation envers les droits des salariés.
Indemnités et rappels de salaire dus en cas de nullité d’un licenciement
Ce qu’il faut retenir
La salariée enceinte, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.
Cass.soc. 6 novembre 2024, n°23-14.706
Le cas détaillé
Une salariée licenciée pour faute grave saisit la juridiction prud’homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
La Cour d’appel accueille ses demandes et condamne l’employeur à payer à la salariée la somme des salaires dus pendant la période de protection dont elle faisait l’objet en raison de son état de grossesse alors que cette période était couverte par la nullité et qu’un licenciement jugé nul en raison de son caractère discriminatoire ne peut donner lieu qu’à une indemnité égale à au moins six mois de salaire, si aucune réintégration n’est demandée.
L’employeur se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation doit répondre à la question de savoir si un licenciement nul car fondé sur l’état de grossesse peut donner lieu au paiement des salaires dus pendant la période de protection, en plus de l’indemnité équivalent à six mois de salaire, alors que la salarié n’a pas demandé sa réintégration dans l’entreprise.
La Cour répond positivement et rejette le pourvoi formé par l’employeur.
S’appuyant sur :
- La directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992.
- L’article 18 de la directive 2006/54/CE du parlement européen du Conseil du 5 juillet 2006.
- Les articles L.1225-71 et L.1235-3-1 du Code du travail.
La Cour en déduit que la salariée qui ne demande pas sa réintégration a droit, en plus des indemnités de rupture et de l’indemnité au moins égale à six mois de salaire, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.
À noter : cette décision de la Cour de cassation ne concerne que les cas de licenciement nul hors barème Macron, et suppose que le salarié ait en amont démontré que la nullité de son licenciement s’appuie sur l’un des motifs prohibés de l’article L.1235-3-1 du Code du travail, doit cependant inciter les employeurs à être vigilants dans le prononcé de licenciements susceptibles d’être frappés de nullité.
Validité de l’offre de reclassement
Ce qu’il faut retenir
À défaut de l’une des mentions obligatoires, l’offre de reclassement est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l’employeur à son obligation et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Cass. Soc. 23.10.2024, N° 23-19.629
Le cas détaillé
Une salariée reçoit une offre de reclassement (pour un poste au sein d’une entreprise du groupe) libellée comme suit « un poste de magasinière à….avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération ».
La Cour d’appel juge l’offre imprécise et ses indications insuffisantes : en effet, l’offre ne fait mention ni du nom de l’entreprise, ni de son adresse, ni de la classification du poste et la seule mention « au même niveau de rémunération » semble très insuffisante pour permettre à la salariée de répondre valablement à cette offre.
Elle en déduit que l’employeur n’a pas accompli avec la loyauté nécessaire son obligation de reclassement, se contentant d’une offre de reclassement imprécise et formelle, et que le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel. Elle rappelle les articles L.1233-4 et D.1233-2-1 (décret du 22 septembre 2017 n°2017-1725) selon lesquels les offres de reclassement proposées doivent être écrites et préciser :
- L’intitulé du poste et son descriptif.
- Le nom de l’employeur.
- La nature du contrat de travail.
- La localisation du poste.
- Le niveau de rémunération.
- La classification du poste.
À défaut de l’une de ces mentions, l’offre est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Rappel : l’article L.1233-4 du Code du travail, relatif à l’obligation de reclassement d’un salarié dont le licenciement économique est envisagé, énonce que “le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré”.
Le décret n°2017-1725 du 22 septembre 2017 détaille les exigences de précision des offres proposées : la forme est tout aussi importante que le fond. Aucune mention n’est facultative dans les propositions de reclassement faites par l’employeur au salarié ; La mention de chacune des mentions est obligatoire, et en l’absence de l’une d’elles, l’employeur n’a pas accompli son obligation de reclassement avec loyauté et le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
C’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur les modalités de proposition de reclassement en cas de licenciement économique depuis les réformes du 22 septembre 2017 et sur la question de la précision des offres de reclassement en application de l’article L. 1233-4, et de l’article D. 1233-2-1 du Code du travail.
Inexécution du préavis
Ce qu’il faut retenir
Même en l’absence de faute grave, le salarié peut se voir privé de son indemnité compensatrice de préavis lorsqu’il est responsable de son inexécution.
Cass.soc. 23 octobre 2024, n°22-22.917
Le cas détaillé
Un employeur informe un salarié de la modification de son lieu de travail à compter du mois suivant. Estimant que cette modification nécessitait son consentement, le salarié conteste cette décision, Il ne se présente pas à son nouveau travail et se fait licencier pour faute grave.
Le salarié conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale puis devant la Cour d’appel.
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J’accède au contenuConsidérant qu’il ne s’agissait pas d’une modification des conditions de travail nécessitant l’accord du salarié, mais contestant la qualification de faute grave pour justifier le licenciement, la Cour d’Appel donne raison au salarié.
L’employeur se pourvoit en cassation et soutient que le refus d’un salarié de poursuivre l’exécution de son contrat de travail en raison d’un simple changement de conditions de travail rend ce salarié responsable de l’inexécution du préavis et le prive des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés afférents.
La Cour de cassation valide la position de l’employeur et, s’appuyant sur les articles L.1234-1 et L.1234-5 du Code du travail, décide que le refus de changement de lieu de travail du salarié est fautif même s’il ne constitue pas à lui seul un manquement à ses obligations tel qu’il rend impossible son maintien dans l’entreprise.
Le licenciement n’est donc pas justifié par une faute grave. Cependant, la Cour juge le salarié responsable de l’inexécution du préavis qu’il refuse d’exécuter aux nouvelles conditions. Selon la Cour, l’employeur n’est donc pas tenu de lui verser une indemnité compensatrice de préavis.
Signature du solde de tout compte
Ce qu’il faut retenir
Le solde de tout compte non signé par le salarié n’a aucun effet sur le délai de prescription.
Cass. soc du 14 novembre 2024, n°21-22.540
Le cas détaillé
Suite à une incarcération, un salarié est licencié pour motif disciplinaire avec dispense de préavis. Il contestait son solde de tout compte, et la suspension du délai de prescription, compte tenu de son impossibilité à signer le document.
Saisie en dernier ressort du litige, la Cour de cassation juge qu’il résulte des articles L.1234-20 et L.1471-1 du Code du travail que le solde de tout compte non signé par le salarié n’a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées et n’a aucun effet sur le délai de prescription.
Ce délai ne court pas et n’est suspendu qu’en cas d’impossibilité d’agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Période de travail effectif
Ce qu’il faut retenir
La période d’attente entre deux prestations de travail correspond elle à une période de travail effectif ?
Lorsque les contraintes imposées par l’employeur n’atteignent pas un degré d’intensité empêchant le salarié de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail doit être considéré comme temps de travail effectif.
Cass.soc. 6 novembre 2024, n°23-17679
Le cas détaillé
Un salarié, après avoir exécuté son premier service de nettoyage, est contraint d’attendre sur place le départ du prochain train afin d’y réaliser son second service avec obligation de répondre aux appels téléphoniques de son employeur.
Il sollicite que la période d’attente au cours de laquelle il doit rester physiquement présent dans le lieu de destination de ce train, en tenue de travail avec l’obligation de répondre aux appels téléphoniques de son employeur, afin de prendre le train de retour pour y exercer son second service, soit qualifiée de “temps de travail et fasse l’objet d’un rappel de salaires et de congés payés.
Sa demande est rejetée.
Pour la Cour de cassation, le salarié n’était pas durant cette période d’attente soumis à des contraintes d’une intensité telle qu’elles ont affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles.
Le fait de devoir répondre aux appels de l’employeur sous peine, le cas échéant, d’avertissement, et en tenue de travail, n’empêchait pas le salarié de vaquer librement à des occupations personnelles. Il ne s’agissait donc pas de temps de travail.
Rappel : la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.
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