Pour ce mois de mars, nous vous proposons une actualité jurisprudentielle plus particulièrement centrée d’une part, sur les preuves acceptées en justice à l’appui d’une demande, et d’autre part, sur le contrat à durée déterminée et son formalisme.
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Je télécharge les 8 fichesNous aborderons aussi une décision d’assimilation par la Cour de cassation du temps de trajet domicile-lieu de travail en temps de travail effectif. Enfin nous finirons par une décision de jurisprudence de la Cour de cassation, rendue après censure des juges d’appel, sur un sujet d’indemnisation de l’inaptitude.
Production de la Preuve en justice
Un employeur peut-il produire en justice une preuve illicite contre un salarié ?
Cass.soc. n°21-17.802 8 mars 2023
Si des preuves démontrant la faute du salarié sont collectées par un dispositif illicite, et que leur production en justice n’a pas un caractère indispensable, alors ces éléments de preuve doivent être déclarés irrecevables.
Un employeur cherche à prouver des vols et abus de confiance commis par une salariée. En effet, un audit a mis en évidence des irrégularités dans l’enregistrement et l’encaissement d’espèces effectués par cette salariée.
Il a recours à une vidéosurveillance, mise en place en dehors des règles prévues par le Code du Travail. Les images obtenues confirment ses soupçons de vols. Il licencie donc la salariée pour faute grave.
Cette dernière conteste en justice son licenciement.
La Cour d’appel donne raison à la salariée et juge son licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que :
- Les enregistrements de la vidéosurveillance ne sont pas recevables, car l’employeur n’a pas informé la salariée des finalités du dispositif de vidéosurveillance.
- Les autres pièces produites par l’employeur ne permettent pas d’établir la faute de la salariée.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et décide :
- Un moyen de preuve illicite n’est pas forcément irrecevable en justice, même s’il porte atteinte à la vie personnelle d’un salarié. En effet, il peut être produit en justice à deux conditions : s’il est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et si l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.
- Cependant, lorsque l’employeur dispose d’un autre moyen de preuve, il ne peut pas produire en justice une preuve illicite.
En l’espèce, la production des enregistrements n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, puisqu’il disposait d’un autre moyen de preuve qu’il n’avait pas versé aux débats, à savoir l’audit.
Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-20.798, FS-D
A contrario, si les données démontrant la faute du salarié ont été collectées par un dispositif illicite, mais que leur production en justice présente un caractère indispensable, alors la preuve est recevable.
Un salarié, licencié pour faute grave, saisit la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement
Son employeur avait installé, à l’entrée de l’entreprise, un système de badge avec pour seule finalité déclarée le contrôle des accès aux locaux et aux parkings. Or l’employeur utilisait ce système pour recueillir des informations personnelles sur les salariés et contrôler l’activité et les horaires de travail de ses salariés.
Ce contrôle, effectué sans déclaration auprès du correspondant informatique et liberté de l’entreprise et sans information préalable des salariés et des IRP, constituait un moyen de preuve illicite.
La cour d’appel, en l’absence d’autres preuves établissant la fraude reprochée, juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur à payer au salarié des sommes au titre de ce licenciement.
L’employeur se pourvoit en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision d’appel et juge qu’une preuve illicite peut être recevable à condition que :
- L’atteinte à la vie personnelle du salarié (liberté fondamentale) soit proportionnée au but poursuivi (la preuve de la faute commise par le salarié).
- Ce but soit légitime.
- La preuve illicite soit le seul moyen d’apporter la preuve de la faute du salarié.
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Preuve d’une inégalité salariale : une salariée peut obtenir de l’employeur la communication de bulletins de paie de collègues masculins
Cass. Soc. 8 mars 2023, n°21-12.492
Une salariée licenciée, considérant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant ou ayant occupé des postes équivalents à celui qu’elle occupait, saisit en référé la juridiction prud’homale pour obtenir la communication d’éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs.
Les juges d’appel donnent raison à la salariée et la jugent bien fondée dans sa demande.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et juge que la communication des éléments de preuve portait atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, mais était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. À savoir, la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
Contrat à durée déterminée
Renouvellement de contrat
Cass. Soc. 1er mars 2023, n° 21-20.431
Le CDD qui ne précise pas qu’il est un renouvellement de CDD ne peut pas être considéré comme tel et l’employeur doit, sauf exception, respecter un délai de carence pour signer un nouveau CDD.
Une salariée signe un premier CDD puis un deuxième, 3 mois plus tard. Ce dernier contrat comporte une clause qui prévoit la possibilité de renouveler le contrat, mais ne précise pas que ce contrat est un renouvellement du premier.
La salariée, pensant que ce dernier contrat était un nouveau CDD et non le renouvellement du premier, et constatant qu’aucun délai de carence n’avait été respecté entre les deux CDD, demande la requalification des CDD en CDI.
La Cour d’appel déboute la salariée de sa demande en requalification.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel car le CDD comportait une clause de renouvellement et ne précisait pas qu’il s’agissait d’un renouvellement du premier CDD. Par conséquent, un délai de carence devait être respecté.
CDD successifs : pas de rupture anticipée du CDD pour faute grave si les faits reprochés sont commis au cours du CDD précédent
Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-17.227, FS-B
La faute de nature à justifier la rupture anticipée d’un CDD doit avoir été commise durant l’exécution de ce contrat : l’employeur ne peut pas se fonder sur des fautes commises antérieurement à la prise d’effet du contrat pour justifier sa rupture.
Une salariée est embauchée sans interruption pendant trois CDD successifs. Son employeur rompt de manière anticipée son dernier contrat pour faute grave en se fondant sur des fautes que la salariée avait commises au cours du CDD précédent.
La salariée saisit la justice afin que la rupture anticipée de son contrat soit déclarée illicite et sollicite le paiement d’indemnités.
La cour d’appel accède aux demandes de la salariée et condamne l’employeur au paiement d’indemnités.
Ce dernier se pourvoit en cassation.
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle que, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu avant l’échéance du terme en cas de faute grave commise durant l’exécution de ce contrat.
Or, la cour d’appel avait relevé que les faits reprochés à la salariée étaient antérieurs à la prise d’effet du troisième contrat et avait retenu, à bon droit, que l’employeur ne pouvait pas se fonder sur des fautes commises antérieurement à la prise d’effet du contrat pour justifier sa rupture.
Temps de trajet domicile-lieu de travail et temps de travail effectif
Cass.soc. 1 er mars 2023, n°21-12.068
Le temps de trajet domicile-lieu de travail, pour un salarié itinérant, peut constituer un temps de travail effectif
Un salarié itinérant demande en justice que les temps de trajet effectués depuis son domicile pour se rendre chez différents clients soient qualifiés de temps de travail effectif donnant lieu au paiement d’heures supplémentaires et de contreparties obligatoires en repos ouvrant droit à congés payés.
Ses demandes sont rejetées par les juges d’appel. Cependant, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Selon elle, bien que le temps de trajet domicile-lieu de travail ne constitue pas, en principe, un temps de travail effectif, s’agissant d’un salarié itinérant, les temps de déplacement entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients doivent être considérés comme du temps de travail effectif et rémunéré comme tel, dès lors que, pendant ses déplacements, le salarié se tient à la disposition de son employeur, se conforme à ses directives et ne peut pas vaquer librement à ses occupations.
En l’espèce, les conditions dans lesquelles le salarié effectuait ses trajets démontraient l’existence d’un temps de travail effectif, car ce dernier était soumis à un planning prévisionnel pour les opérations de maintenance et, pour effectuer ces opérations, il utilisait un véhicule de service et transportait des pièces détachées commandées par les clients.
Inaptitude
Cass.soc. 1er mars 2023 n°21-19.956,F-B
Un salarié déclaré inapte, qui n’est ni reclassé, ni licencié, est en droit de cumuler le salaire dont l’employeur a repris le versement et les IJSS, qui n’ont pas à être déduites du salaire maintenu.
Un salarié, déclaré inapte, est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Il saisit la juridiction prud’homale en contestation de ce licenciement et demande que lui soit versé un rappel de salaire correspondant au montant des indemnités journalières de Sécurité sociale déduites des salaires qui lui ont été versées après l’expiration du délai d’un mois à compter de l’avis d’inaptitude.
La Cour d’Appel juge qu’il convient de déduire les indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS) des sommes dues au salarié sur le fondement des dispositions de l’article L. 1226-4 du Code du travail.
Le salarié se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation casse le jugement d’appel. Selon elle, l’employeur reste tenu de verser le salaire, même si le salarié perçoit des indemnités journalières de sécurité sociale et il ne peut opérer aucune réduction car la somme qui doit être versée est fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat de travail.
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