Actualités jurisprudentielles Décembre 2023

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Nous vous proposons quelques arrêts à ne pas manquer. Nous vous disons tout !

Auteur / Autrice

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Sommaire de l'article

En ce début d’année 2024, nous avons sélectionné quelques arrêts intéressants pour plusieurs raisons distinctes ; l’un d’eux constitue un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, un autre témoigne de l’importance de la compatibilité des droits nationaux avec le droit européen, un autre aborde le thème du droit des travailleurs étrangers et enfin deux autres mettent l’accent sur la nécessité pour l’employeur d’être vigilant dans le respect de ses obligations.

Recevabilité de la preuve

Cass.soc. 22 décembre 2023, n°20-20.648

Ce qu’il faut retenir

Revirement de jurisprudence : des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juges dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable à condition que la prise en compte de ces preuves ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse. 

Cass.ass. plen, 22 décembre 2023,  n°21-11.330 

Une conversation privée sur un compte Facebook non destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, ne peut pas justifier un licenciement pour motif disciplinaire. 

Les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation, réunis le 22 décembre 2023 en assemblée plénière, ont rendu deux arrêts sur le thème de la recevabilité de la preuve obtenue déloyalement.

Les cas détaillés

Faits de l’arrêt n°1 

Un salarié est licencié pour faute grave pour des propos tenus vis-à-vis de son employeur dans une conversation privée Facebook. Le salarié saisit la juridiction prud’homale en contestation du motif de licenciement reposant exclusivement sur l’enregistrement d’une conversation par une connexion, sans son consentement, sur son compte.

La cour d’appel déclare cette preuve irrecevable, l’enregistrement ayant été réalisé à l’insu du salarié.  

En l’absence de preuve supplémentaire démontrant la faute commise par le salarié, la cour d’appel juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

L’employeur se pourvoit en cassation. 

Faits de l’arrêt n°2 

Un salarié est licencié pour faute grave du fait de propos échangés lors d’une conversation privée avec une collègue, sur une messagerie intégrée à son compte Facebook personnel installé sur son ordinateur professionnel, propos enregistrés à son insu. 

Le salarié conteste son licenciement et soutient que le juge ne pouvait pas tenir compte de ses conversations par messagerie Facebook, car leur utilisation remettait en cause le principe de loyauté de la preuve et portait atteinte au respect de sa vie privée. 

La cour d’appel donne raison au salarié et écarte des débats cette conversation par messagerie Facebook.
En l’absence d’autre preuve permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la Cour d’appel juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur se pourvoit en cassation. 

Les 2 arrêts posent la question de la recevabilité d’une preuve obtenue de façon déloyale rapportée par l’employeur pour justifier un licenciement. Cependant, la réponse de la Cour de cassation n’est pas la même dans les 2 arrêts. 

Dans l’arrêt 1, la Cour de cassation rejette l’arrêt d’appel qui avait écarté les enregistrements clandestins obtenus de manière déloyale. En effet, elle considère recevable la preuve obtenue de façon déloyale dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte d’une telle preuve ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.).

Cette solution, inspirée de la jurisprudence de la CJUE, constitue un revirement de jurisprudence : la preuve déloyale est désormais recevable sous conditions. Cette solution répond au souci de la Cour de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui, suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse. 

Dans l’arrêt 2, au contraire, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et considère qu’il n’est pas possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle  si celui-ci ne  constitue pas un manquement à ses obligations professionnelles

En l’espèce,  les propos échangés par le salarié avec l’un de ses collègues sur la messagerie Facebook constituent une conversation privée qui n’avait pas vocation à être rendue publique et qui ne pouvait pas s’analyser, en l’absence d’autres éléments, en un manquement du salarié à ses obligations contractuelles. 

Congés payés

CJUE, 14 décembre 2023, n° 206/22

Ce qu’il faut retenir

Une mise en quarantaine ne permet pas un report des congés payés.

Le cas détaillé

Un salarié allemand, mis en quarantaine la veille de ses congés payés pour toute la période de ses congés, demande à son employeur de reporter les jours de congés coïncidant avec cette période de quarantaine. Ce dernier refuse.

Le salarié saisit le tribunal du travail allemand.

Avant de se prononcer, ce tribunal décide de vérifier la compatibilité de la législation allemande avec le droit européen et de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question suivante : est-ce que le droit au congé payé garanti par le droit européen assimile une période de quarantaine à une incapacité de travail du type maladie qui induirait alors un droit au report des congés ?

Pour la CJUE, lorsque deux congés se chevauchent, il convient d’analyser la finalité de chaque congé afin de savoir si la finalité du congé payé a été atteinte.

Un congé maternité ou un congé maladie ne répond pas à la même finalité que le congé payé, qui permet au salarié de se reposer et de profiter d’une période de détente et de loisirs. En cas de concomitance entre congé maternité ou maladie et congé payé, ce dernier doit donc être reporté.  

Qu’en est-il d’une mise en quarantaine ?

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Pour la CJUE, le salarié en « congé » forcé dans le cadre d’une mise en quarantaine ne subit pas les contraintes physiques et/ou psychiques d’un salarié en congé maladie ou maternité. La finalité de la mise en quarantaine n’est pas la même que celle du congé maladie ou maternité et n’empêche pas la réalisation des finalités du congé annuel payé. 

La CJUE en conclut donc qu’une mise en quarantaine n’empêche pas le salarié de bénéficier de son congé annuel payé et donc ne justifie pas un report des congés payés

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Inaptitude et reclassement du salarié inapte

Cass. Soc. 13 décembre 2023, n° 22-19.603

Ce qu’il faut retenir

L’employeur est dispensé de ses obligations en matière de reclassement, si, et seulement si, le médecin du travail n’apporte aucune annotation sur la mention expresse d’inaptitude.

Le cas détaillé

Un salarié d’une entreprise disposant de plusieurs établissements est déclaré inapte.

L’ avis d’inaptitude du médecin du travail indique : « l’inaptitude fait obstacle sur le site à tout reclassement dans un emploi ».

L’employeur procède donc au licenciement du salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. 

Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié saisit la juridiction prud’homale et fait valoir l’absence de recherche de reclassement suite à son inaptitude.

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Les juges du fond, donnant raison au salarié, déclare son licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur ayant manqué à son obligation de reclassement. 

La Cour de cassation approuve la décision des juges du fond et rappelle qu’un avis d’inaptitude du médecin du travail limité à un seul site ne dispense pas la société détenant plusieurs établissements de rechercher un reclassement hors de l’établissement concerné.

En l’espèce, en l’absence de recherche de poste de reclassement dans les autres établissements que celui dans lequel le salarié travaillait, la société a manqué à son obligation de reclassement, et le licenciement prononcé pour inaptitude est bien dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Notons que, dans cet arrêt, la Cour de cassation confirme une jurisprudence constante. 

Contractualisation d’un élément de la rémunération

Cass. soc. 13-12-2023 n° 21-25.501 F-D.

Un salarié saisit la juridiction prudhomale en contestation de la suppression par son employeur du versement de primes d’équipe et de casse croute payées depuis plus de 7 ans.

L’employeur, condamné à reprendre sous astreinte le versement de ces primes et à payer certaines sommes à titre de rappel des primes, se pourvoit en cassation. Selon lui, le paiement de cette prime n’était pas justifié, car le salarié n’avait jamais travaillé en équipe, ce paiement résultait d’une erreur et le paiement indu d’une prime à un salarié n’a pas pour effet de transformer cette prime en un élément de la rémunération contractuelle. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt des juges d’appel qui, compte tenu du versement continu pendant  plus de 7 années de primes à un salarié auxquelles ce dernier ne pouvait pourtant pas prétendre, ont écarté l’existence d’une erreur dans le paiement de ces primes et retenu leur contractualisation.    

Droit de travailler des étrangers 

Cass.soc 29 novembre 2023, n°22-10.004, FS-B

Ce qu’il faut retenir

Un étranger, titulaire d’une carte de résident, doit, pour bénéficier du délai de 3 mois lui permettant, après expiration de son titre, de conserver son droit d’exercer une activité professionnelle, en solliciter le renouvellement dans les 2 mois précédant cette expiration.

Le cas détaillé

Un employeur demande, par lettre recommandée, à l’un de ses salariés de lui faire parvenir son nouveau titre de séjour au plus tard 7 jours avant l’expiration de celui en cours de validité, lui précisant, qu’à défaut, il ne pourrait pas continuer à lui conserver son emploi après l’expiration de son titre de séjour. 

Après lui avoir adressé une mise en demeure de produire son nouveau titre de séjour, l’employeur notifie au salarié la rupture de son contrat de travail pour absence de titre de séjour lui permettant de travailler sur le territoire français. 

Le salarié saisit la juridiction prud’homale de demandes de dommages-intérêts relatives à la rupture de son contrat de travail.

La Cour d’appel juge le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, et condamne l’employeur à payer au salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur se pourvoit en cassation. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle, qu’aux termes de l’article R. 5221-32 du Code du travail, un étranger, titulaire d’une carte de résident, doit, pour bénéficier du délai de 3 mois lui permettant, après expiration de son titre, de conserver son droit d’exercer une activité professionnelle, en solliciter le renouvellement dans les 2 mois précédant cette expiration. 

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