Avec l’essor des nouvelles technologies et l’apparition de systèmes de surveillance de plus en plus novateurs et performants, les entreprises – autrefois réticentes – se penchent de plus en plus sur la question de la pertinence de la mise en place d’un système de vidéosurveillance dans leurs locaux.
Car, après tout, parfois, la nécessité s’impose.
- Comment surveiller les biens de valeurs entreposés dans des locaux lorsque j’ai une activité de manutention ou de transport ?
- Comment prévenir les vols au sein de mon entreprise ?
- Et si j’exerce en banque et que mes employés doivent manipuler de l’argent, comment éviter les vols ?
Toutes ces questions tendent vers une plus grande tolérance du recours à la surveillance au travail et nombreuses sont les entreprises qui se tournent vers ces outils.
Toutefois, la vidéosurveillance ne doit pas être considérée comme un dispositif anodin. Bien au contraire, en ce qu’il permet une surveillance et un suivi constant et permanent des employés, il doit être employé avec précaution et son recours doit être justifié par des nécessités strictes.
Ai-je le droit de mettre en place un système de vidéosurveillance au sein de mon entreprise ? Si oui, quelles obligations dois-je respecter et quelles sont les limites que je ne peux franchir ?
Cet article aura pour vocation d’apporter des pistes de réflexion à la mise en place d’un système de vidéosurveillance. Toutefois, chaque entreprise est unique et chaque situation doit être analysée sous l’angle de son particularisme.
Nous vous recommandons donc vivement, avant de mettre en place ce type de système de surveillance, de vous tourner vers votre avocat conseil afin d’évaluer la pertinence de la vidéosurveillance dans vos locaux et de vous assurer de respecter les droits de vos salariés.
La surveillance au travail sous l’angle de la vie privée
Le respect de la vie privée du salarié
À titre préliminaire, la vidéosurveillance apparaît comme un système de surveillance accru, provoquant une forte intrusion dans la vie privée du salarié, et ce, même sur ses lieux de travail.
Nous rappellerons à ce titre que l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance) de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.»
Lorsqu’une entreprise filme ses salariés sur leurs lieux de travail, le risque d’atteinte aux libertés fondamentales des salariés est élevé. En effet, l’article 8 et son droit au respect de la vie privée s’impose même sur le lieu de travail et en particulier si le système de surveillance a pour objectif de contrôler l’activité des salariés.
De fait, un salarié pourrait profiter de son temps de pause, même sur son lieu de travail, pour passer des appels ou toute action en lien avec sa vie privée. Des activités et informations qui n’ont pas pour vocation d’être rendues accessibles à l’employeur, ce dernier ne pouvant, par ailleurs, pas se servir du système de vidéosurveillance pour contrôler ni le temps de travail du salarié ni ce qu’il fait pendant ses heures de pause.
On comprendra donc que le recours à la vidéosurveillance doit répondre à des impératifs bien précis : limiter les risques de vols, d’intrusions ou de dégradation des locaux, assurer la sécurité des salariés.
Mais en aucun cas assurer un contrôle ou suivi des salariés et de leur travail. L’employeur ne pouvant s’immiscer dans la vie personnelle de son salarié et ce, même lorsqu’il est sur son lien de travail (CEDF, Aff. Barbulescu c/Roumanie, 5 septembre 2017).
La nécessaire proportionnalité du recours à la vidéosurveillance
Pour autant, la loi n’interdit pas les employeurs de recourir à la vidéosurveillance dans leurs locaux. Mais cela doit être fait en respectant deux principes majeurs.
D’une part, cette vidéosurveillance doit être justifiée. La décision ne peut pas être prise aléatoirement par l’employeur, il faut un motif pour imposer cette surveillance.
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Par ailleurs, cette vidéosurveillance doit être proportionnée au but recherché.
Par exemple, si une entreprise a une activité de transport de marchandises et qu’elle veut surveiller les biens entreposés dans ses entrepôts, elle se limitera à la vidéosurveillance dans lesdits entrepôts et non généralisée à toute l’entreprise (pas de caméras dans les bureaux des équipes RH ou financières par exemple).
Sans le respect de ces conditions, l’employeur pourra être condamné pour atteinte aux droits des salariés résultant d’une surveillance excessive de ces derniers, qui aurait été constante, permanente et générale (Délibération de la CNIL du 02 avril 2020 n°2010-112).
Pensez-donc, en toutes circonstances, à vérifier l’intérêt légitime de l’installation dudit dispositif.
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Le recours à de la vidéosurveillance en pratique
Les locaux protégés et/ou interdits
Vous avez étudié la légitimité du recours à de la vidéosurveillance, vous avez pris toutes vos précautions d’un point de vue légal et réglementaire et vous avez même obtenu quelques devis auprès de prestataires spécialisés pour installer le matériel.
Vous voilà donc prêt à installer des caméras partout. Partout ? Pouvez-vous vraiment et absolument tout filmer et en toutes circonstances ?
Bien évidemment que non. On pensera au principe de proportionnalité évoqué ci-dessus et on respectera donc les règles suivantes :
- Pas de caméras sur les employés sur leurs postes de travail (sauf si un salarié doit manipuler de l’argent, mais à ce moment-là on pointera la caméra sur la caisse et non sur le salarié).
- Pas de caméras dans les zones de pause (l’endroit où le salarié peut effectuer le plus d’actes en lien avec sa vie privée) ni dans les toilettes (vous n’avez pas vraiment besoin des images de vos employés pendant ces moments-là).
- Pas de caméras dans les locaux syndicaux ou des représentants du personnel, ni à leurs accès quand ils mènent à ces seuls locaux.
On l’aura compris, cela restreint le champ des possibles. On se limitera donc aux zones qui doivent vraiment faire l’objet d’une protection par rapport au but poursuivi, en l’occurrence :
- Les entrées et sorties des bâtiments.
- Les issues de secours et voies de circulation.
- Les zones de stockage des marchandises (ex : rayons d’un magasin, entrepôts commerciaux) ou de biens de valeurs (distributeurs de banques).
En outre, si vous souhaitez installer des caméras dans des locaux accueillant du public, vous devez impérativement solliciter une autorisation préalable auprès du préfet de la république (Art. L. 251-1 et suivants du Code de la Sécurité intérieure).
L’accès aux images
Les caméras sont installées, elles tournent, vous pouvez donc opérer une vérification à tout moment. Mais qui est donc ce « vous » ? Est-ce que n’importe qui peut regarder ces images ?
Là encore, l’accès sera strictement limité aux seules personnes habilitées par l’employeur à visionner les images dans le cadre de leurs fonctions. Par exemple, on voit mal comment la personne en charge du recrutement pourrait visionner les images de surveillance d’un entrepôt où sont stockés les biens des clients.
À l’inverse, un agent de sécurité ayant été alerté d’un vol peut tout à fait visionner les images en vue de faire un compte rendu à son employeur.
Quelle que soit la personne à qui vous aurez attribué l’autorité nécessaire pour visionner les images, veillez auparavant à ce qu’elle ait bénéficié d’une formation au respect de la vie privée ainsi qu’au traitement des données personnelles.
La conservation des images
Vos caméras tournent, elles vous ont même servies plusieurs fois pour constater un ou plusieurs vols ou tentatives d’intrusion dans vos locaux. Ces images vous sont donc importantes pour constater les dégâts. Pour autant, pouvez-vous conserver les images indéfiniment ?
Là encore, la proportionnalité fait loi.
Les images issues des caméras – en ce qu’elles filment vos employés – constituent une donnée personnelle et ne font donc pas exception.
On ne peut donc les conserver indéfiniment. En principe, on se limitera à une durée d’un mois, voire quelques jours si aucun incident n’a été déclaré.
À l’inverse, si les images ont permis de révéler une infraction et qu’elles servent lors d’une procédure disciplinaire ou pénale, elles devront alors être extraites du dispositif de vidéosurveillance et pourront être conservées par l’employeur pour tout le temps de la procédure et en application des délais légaux, notamment dans le cadre d’une procédure pénale.
L’impact de la vidéosurveillance sur les données personnelles
Dois-je informer mes salariés de la mise en place d’un système de vidéosurveillance ?
La réponse est « oui ». En effet, dès lors que le système de vidéosurveillance traite de données personnelles (la captation d’images permettant d’identifier une personne physique est considérée comme une donnée personnelle), l’employeur doit informer ses salariés, avant même l’installation des dispositifs.
Cette information – essentielle et obligatoire – doit contenir les informations suivantes :
- La finalité poursuivie : pourquoi l’employeur installe ces dispositifs ? Quelle en est l’utilité ?
- La base légale du dispositif : par exemple, justifié par l’intérêt légitime de protéger les biens de l’entreprise.
- L’identité et cordonnées du responsable de traitement ou du délégué à la protection des données, si l’entreprise en a désigné un.
- La durée de conservation des données (qui ne peut être indéfinie).
- Le droit d’opposition pour motif légitime avancé par le salarié.
- Le droit d’accès, de rectification ou d’effacement des images, sauf opposition justifiée par l’employeur.
- Les destinataires des images, y compris ceux établis en dehors de l’Union Européenne.
- Les informations devant être portées à l’attention des personnes (ex : prise de décision automatisée, profilage, etc.).
- Et la possibilité d’introduire une réclamation auprès de la CNIL.
Ces informations devront figurer soit dans le règlement intérieur de l’entreprise affiché dans les locaux de l’entreprise soit dans des affiches collées au mur des locaux faisant l’objet d’une vidéosurveillance.
Pensez également, pour tous les locaux faisant l’objet d’une vidéosurveillance, à afficher le pictogramme indiquant la présence d’une caméra de vidéoprotection.
Pensez également à avertir les instances représentatives du personnel avant de prendre la décision d’installer les caméras.
La réalisation d’une analyse d’impact
Pour rappel, une analyse d’impact (DPIA) est un outil permettant d’évaluer si un traitement peut représenter un risque pour la vie privée des personnes concernées.
La CNIL a admis que la réalisation d’un DPIA est un impératif dès lors que les traitements ont pour finalité de surveiller de manière constante l’activité des employés (notamment par de la vidéosurveillance).
La réalisation d’un DPIA – en faisant appel à votre DPO ou à un cabinet d’avocats spécialisé – est donc obligatoire avant l’installation des caméras. Cela vous permettra d’évaluer le risque sur la vie privée de vos salariés et de prendre les mesures de protection adéquates.
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