Veille jurisprudentielle Juin 2024

Veille jurisprudentielle Juin 2024
Laurence Ruaux

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Dans cette jurisprudence de juin, nous vous proposons une sélection de décisions jurisprudentielles à connaître. Bonne lecture.

Dans votre veille jurisprudentielle de juin 2024, nous vous présentons plusieurs décisions à connaître sur les sujets suivants : le droit de retrait du salarié et ses conséquences, le barème Macron et la nullité du licenciement pour discrimination, une limite au changement des horaires de travail par l’employeur, la recevabilité de la preuve illicite, le licenciement pour motif tiré de la vie privée et enfin l’obligation de reclassement du salarié après avis d’inaptitude.

Bonne lecture.

Droit de retrait

Ce qu’il faut retenir

L’employeur peut opérer une retenue sur salaire sans recourir au juge s’il estime son exercice abusif.

Cass.soc. 22 mai 2024, n°22-19.849

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Le cas détaillé n°1

Des salariés d’une compagnie aérienne exercent leur droit de retrait, jugé injustifié par l’employeur, celui-ci procède à une retenue sur leurs salaires.

Les salariés saisissent le tribunal  afin qu’il soit fait interdiction à la société de pratiquer une retenue sur salaire en l’absence de décision judiciaire déclarant abusif ou non fondé le droit de retrait.

Déboutés de leurs demandes, les syndicats se pourvoient en cassation. 

La Cour les déboute également de leurs demandes et rappelle qu’aux termes de l’article L.4131-1 du Code du travail, le salarié alerte immédiatement l’employeur et peut se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. 

L’employeur ne peut pas demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une telle situation de travail.  

De même, aucune sanction ni retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux.

A contrario, lorsque l’employeur estime que les conditions de l’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies, le salarié s’expose à une retenue sur salaire, sans que l’employeur ne soit tenu de saisir préalablement le juge du bien-fondé de l’exercice de ce droit par le salarié.

En d’autres termes, d’après la Cour de cassation, l’employeur peut opérer une retenue sur salaire en même temps que l’exercice par le salarié de son droit de retrait. 

La démarche de l’employeur n’est donc pas suspendue à une saisine préalable du juge. 

En cas de litige, la régularité de la retenue sera vérifiée par le juge, après son usage.

Ce qu’il faut retenir

Dès lors qu’un salarié a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, l’existence réelle d’une telle situation n’est pas nécessaire pour justifier un droit de retrait.

 Cass.soc. 27 mars 2024, n°22-20.649

Le cas détaillé n°2

Un steward, programmé sur un vol à destination d’Israël, décide d’exercer son droit de retrait lors du briefing de vol. En effet, un cessez-le-feu entre Israël et la Palestine est rompu et d’importantes villes, desservies par la compagnie aérienne, sont la cible de nombreux tirs de roquette. 

L’employeur procède à une saisie sur salaire.  

Le salarié, estimant qu’il a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, conformément à l’article L.4131-1 du Code du travail, saisit d’abord le juge des référés pour contester la retenue sur salaire puis le conseil de prud’hommes pour obtenir des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice moral suite à cette retenue par l’employeur.

Les juges le déboute de sa demande en raison des précautions prises par l’employeur et du fait qu’ aucune compagnie aérienne n’a suspendu ses vols pour cette destination, en date du vol.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision d’appel. Selon elle, les juges du fond ont considéré le droit de retrait du salarié non justifié sans rechercher «si le salarié avait un motif raisonnable de penser que la situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, indépendamment de l’existence d’un tel danger, et justifiant l’exercice du droit de retrait.”

En effet, pour la Cour, à partir du moment où un salarié a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, l’existence réelle d’une telle situation n’est pas nécessaire pour justifier un droit de retrait.

Barème Macron

Ce qu’il faut retenir

Le barème Macron ne s’applique pas en cas de nullité du licenciement pour discrimination

Cass.soc. 7 mai 2024, n°22-23.640

Le cas détaillé

Un salarié subit une discrimination du fait de son handicap. Il obtient plus de 60 000 euros de dommages et intérêts, soit la limite haute du barème Macron. 

La cour d’appel, après avoir constaté que le licenciement est entaché d’une nullité consécutive à une discrimination, en l’espèce le handicap, fixe le montant de l’indemnisation du salarié en fonction du barème Macron. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle que le barème Macron ne s’applique pas en cas de nullité du licenciement pour discrimination.

Dans ce cas de figure, si le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois. Il n’y a pas de maximum.

Horaires de travail

Ce qu’il faut retenir

Le changement des horaires de travail ne doit pas porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie personnelle, notamment face aux impératifs familiaux du salarié. 

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Cass.soc. 29 mai 2024, n°22-21.814

Le cas détaillé

Un salarié est licencié pour faute grave en raison de son refus d’une modification de ses horaires de travail. Travaillant en horaires de nuit, il refuse le passage en horaires de journée, incompatibles avec le handicap de son enfant qui nécessite une veille de jour.

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La Cour de cassation fait droit à sa demande et rappelle que le changement d’horaire de travail est en principe un simple changement des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur et qui ne nécessite pas l’accord du salarié. Cependant, ce principe a une limite : lorsque ce changement porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie personnelle du salarié, notamment en cas d’incompatibilité avec des obligations familiales impérieuses. 

Preuve

Ce qu’il faut retenir

Une preuve obtenue à l’insu de l’employeur est recevable si elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée par la preuve est strictement proportionnée au but poursuivi. 

Cass.soc. 2 mai 2024, n°22-16.603

Le cas détaillé

Un salarié apporte la preuve d’un harcèlement moral dont il s’estime victime en produisant des enregistrements d’une conversation entre lui-même et son employeur, à l’insu de ce dernier. 

Saisie du litige, la Cour d’appel écarte des débats le procès-verbal de constat d’huissier relatif à ces enregistrements au motif que le salarié ne justifie pas que cette production soit indispensable à l’exercice de ses droits, en l’occurrence, à la caractérisation du harcèlement moral dont il se prévaut.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle qu’en présence d’une preuve illicite ou déloyale, c’est au juge de vérifier si la preuve litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve du salarié et si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur est strictement proportionnée au but poursuivi.

Cet arrêt confirme la solution de l’arrêt n° 20-20.648 du 22 décembre 2024, rendu en ce sens par l’assemblée plénière, qui pose que la déloyauté ou l’illicéité d’une preuve ne suffit pas, en tant que telle, à l’écarter des débats et que le juge a pour office la mise en balance des intérêts de chaque partie.  

Licenciement pour motif tiré de la vie du salarié

Ce qu’il faut retenir

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218

Le cas détaillé

Un salarié exerçant des fonctions de DRH dissimule sa relation amoureuse avec une salariée titulaire de mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel dans la même entreprise.

Au cours de cette relation, la salariée s’était investie dans des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise. Lors de la mise en oeuvre d’un projet de réduction d’effectifs, elle avait également participé, en tant que déléguée syndicale, à diverses réunions où le salarié avait lui-même représenté la direction et au cours desquelles des sujets sensibles relatifs à des plans sociaux avaient été abordés. 

Le salarié est licencié pour faute grave. 

La Cour de cassation juge que le DRH qui n’informe pas l’employeur de la relation qu’il entretien avec une salariée, représentante du personnel, manque à son obligation de loyauté à laquelle il est tenu envers son employeur.

En effet, selon elle, cette relation, bien qu’intime, se rattache nécessairement à la vie professionnelle des salariés, dès lors que leurs fonctions respectives les amènent à participer à des réunions au cours desquelles sont discutés des sujets sensibles pour l’entreprise. Cette relation est donc de nature à affecter le bon exercice des fonctions professionnelles du responsable des ressources humaines, En la dissimulant à son employeur, ce salarié a manqué à son obligation de loyauté. Ce manquement rend impossible son maintien dans l’entreprise et justifie son licenciement pour faute grave.

Le licenciement disciplinaire est donc justifié en raison de la dissimulation de la relation intime, qui est à l’origine d’un conflit d’intérêts et d’actes de déloyauté, peu important qu’il en résulte ou non un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise.

Reclassement du salarié après avis d’inaptitude

Ce qu’il faut retenir

Il n’y a pas d’obligation de reclassement si la mention dans l’avis du médecin du travail précise « dans l’emploi » 

Cass.soc.,12 juin 2024, n°13.522

Le cas détaillé

Rappel Dès lors que l’employeur reçoit un avis d’inaptitude, il doit tenter de rechercher un poste de reclassement pour le salarié, sauf s’il en a été dispensé par le médecin du travail. 

Qu’en est il lorsque les écrits du médecin du travail ne sont pas assez clairs pour constituer une dispense ?

C’est la question posée à la Cour de cassation dans cet arrêt.

Un médecin du travail rend un avis d’inaptitude qui indique que l’état de santé d’un salarié fait obstacle à tout reclassement ” dans l’emploi ” au lieu de la mention ” dans un emploi”.

La cour d’appel juge que l’employeur n’est pas exonéré de rechercher un reclassement car la mention “dans l’emploi”, qui tend à viser l’emploi occupé précédemment, ne peut être assimilée à celle d’un emploi en général.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. 

En effet, selon elle, l’avis d’inaptitude qui mentionne expressément que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, équivaut à un avis d’inaptitude dans tout emploi. Il résulte donc que l’employeur est dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement.

Cette décision tranche avec deux décisions récentes dans lesquelles la Cour de cassation a considéré, au contraire, qu’il n’y avait pas de dispense de recherche de reclassement et invalidé le licenciement :  

  1. Dans l’arrêt du 13 septembre 2023, n°22-19.970, la mention portait sur tout maintien du salarié dans un emploi « dans cette entreprise », ce qui ne dispensait pas une recherche de reclassement au niveau du groupe. 
  2. Dans l’arrêt du 13 décembre 2023, n°22-19.603, se présentait un cas de figure similaire dans lequel la mention indiquait que l’état de santé du salarié faisait obstacle « sur le site »à tout reclassement dans un emploi. 

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Laurence Ruaux

Avocate de formation, je suis consultante juridique auprès de TPE/PME de tous secteurs, et en particulier les entreprises du secteur de la restauration. Parallèlement, formée au coaching professionnel, j’accompagne les acteurs des professions juridiques et RH dans leur gestion de carrière et leurs transitions professionnelles.