Dans cette veille jurisprudentielle d’avril 2024, nous vous parlerons notamment des sujets suivants : un revirement de jurisprudence concernant l’assujettissement du bรฉnรฉfice des activitรฉs sociales et culturelles ร une condition d’anciennetรฉ, un point de vigilance concernant l’annonce orale d’un licenciement, la validitรฉ d’un licenciement pour faits tirรฉs de la vie privรฉe du salariรฉ.
Bonne lecture !
Comitรฉ social et รฉconomique
Ce qu’il faut retenir
Lโouverture du droit ร bรฉnรฉficier des activitรฉs sociales et culturelles organisรฉes par le CSE ne peut pas รชtre subordonnรฉe ร une condition dโanciennetรฉ.
Cass.soc. 3 avril 2024, nยฐ22-16-812
Le cas dรฉtaillรฉ
Un CSE vote la modification de son rรจglement intรฉrieur et prรฉvoit une condition dโanciennetรฉ de six mois pour bรฉnรฉficier des Activitรฉs Sociales et Culturelles.
Aprรจs un jugement rendu en premiรจre instance, une organisation syndicale saisit la Cour dโappel de Paris, au motif que ce critรจre dโanciennetรฉ รฉtait illicite et discriminatoire, car il portait atteinte ร lโรฉgalitรฉ de traitement des salariรฉs.
La Cour dโappel considรจre que lโanciennetรฉ est un critรจre objectif, non discriminatoire, dรจs lors quโil sโapplique indistinctement ร tout salariรฉ quel quโil soit et notamment quel que soit son รขge et donne raison au CSE.
La Cour de cassation, dans cet arrรชt du 3 avril 2024, casse lโarrรชt dโappel et, pour la premiรจre fois, prรฉcise que le CSE ne peut pas rรฉserver le bรฉnรฉfice des Activitรฉs Sociales et Culturelles aux salariรฉs ayant une anciennetรฉ minimale, cette condition tenant ร lโanciennetรฉ รฉtant illicite.
Cette dรฉcision qui va ร lโencontre des dรฉcisions prises jusquโalors en la matiรจre va probablement entraรฎner les CSE ร devoir revoir leur rรจglement intรฉrieur en matiรจre de condition dโanciennetรฉ.
Notification de licenciement
Ce qu’il faut retenir
Si lโannonce orale du licenciement est faite au salariรฉ avant que le courrier de licenciement ne soit expรฉdiรฉ, la rupture sโassimile ร un licenciement verbal et donc ร un licenciement dรฉpourvu de cause rรฉelle et sรฉrieuse
Cass.soc. 3 avril 2024 nยฐ23-10.931
Le cas dรฉtaillรฉ
Un salariรฉ est licenciรฉ pour faute grave par courrier. Le jour mรชme, lโemployeur, qui estimait plus convenable de prรฉvenir le salariรฉ de son licenciement, pour lui รฉviter de se prรฉsenter ร une rรฉunion et de se voir congรฉdier devant ses collรจgues de travail, lโinforme, par tรฉlรฉphone, de son licenciement.
La Cour dโAppel juge le licenciement sans cause rรฉelle et sรฉrieuse au motif que lโattitude de lโemployeur ne supplรฉe pas la lettre de licenciement adressรฉe ultรฉrieurement, mรชme si elle est adressรฉe le mรชme jour.
La Cour de cassation confirme lโarrรชt dโappel et rappelle que :
- La dรฉcision de licenciement est notifiรฉe au salariรฉ par lettre recommandรฉe avec avis de rรฉception.
- Cโest lโenvoi de ce courrier recommandรฉ qui manifeste la volontรฉ de lโemployeur de mettre fin au contrat de travail, et qui acte la rupture du contrat de travail.
- Toute communication sur le dรฉpart dโun salariรฉ de lโentreprise avant la notification de son licenciement permet de constater lโabsence de cause rรฉelle et sรฉrieuse du licenciement.
Il convient donc de faire preuve de vigilance et de patience avant dโinformer les salariรฉs du dรฉpart de lโun de leurs collรจgues ou, ร dรฉfaut, de conserver la preuve que lโinformation orale est intervenue aprรจs lโenvoi du courrier du licenciement.
Vie privรฉe du salariรฉ et licenciement
Ce qu’il faut retenir
Les faits tirรฉs de la vie personnelle du salariรฉ ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire, sauf si ces faits constituent un manquement ร une obligation dรฉcoulant du contrat de travail
Le cas dรฉtaillรฉ nยฐ1
Un employeur reproche ร un salariรฉ de sโรชtre stationnรฉ avec un vรฉhicule de fonction dans un chemin de forรชt et de sโy รชtre masturbรฉ.
Un promeneur avait photographiรฉ le camion et signalรฉ ces faits ร lโemployeur, lequel avait dรฉcidรฉ de licencier son salariรฉ pour faute grave.
Saisie du litige, la Cour dโappel avait validรฉ le bien-fondรฉ du licenciement en considรฉrant que ces faits, qui sโรฉtaient dรฉroulรฉs sur le trajet entreprise/domicile et ร bord dโun vรฉhicule de la sociรฉtรฉ, relevaient bien de la sphรจre professionnelle et portaient atteinte ร lโimage de lโentreprise.
La Cour de cassation casse lโarrรชt dโappel. En effet, ces faits relรจvent de la vie intime et ne peuvent justifier un licenciement disciplinaire que sโils constituent un manquement ร une obligation dรฉcoulant du contrat de travail, ce qui, en lโespรจce, nโest pas le cas et donc ne justifient pas un licenciement disciplinaire.
Dans un arrรชt du 13 mars 2023, la Cour de cassation avait admis la possibilitรฉ de licencier un salariรฉ lorsque son comportement, bien que relevant de sa vie privรฉe et donc non-fautif, avait pour consรฉquence de crรฉer un trouble caractรฉrisรฉ au sein de lโentreprise.
Peut-รชtre lโemployeur aurait-il pu envisager un licenciement non pas disciplinaire, mais fondรฉ sur le trouble objectif causรฉ au fonctionnement de lโentreprise, notamment en termes dโimage, ร condition bien sรปr quโil รฉtablisse, preuves ร l’appui, ce trouble.
Le cas dรฉtaillรฉ nยฐ2
Une salariรฉe est licenciรฉe pour avoir adressรฉ ร des collรจgues des messages ร ยซ caractรจre manifestement raciste et xรฉnophobe ยป via la messagerie professionnelle de l’entreprise. La salariรฉe est licenciรฉe et conteste son licenciement.
Pour la Cour de cassation, ces faitsย ne sauraientย justifier un licenciement.
Mรชme s’ils ont รฉtรฉ envoyรฉs au moyen de la messagerie professionnelle, ces messages relรจvent de la vie personnelle du salariรฉ dรจs lors, d’une part, que ces messages s’inscrivent dans le cadre d’รฉchanges privรฉs, ร l’intรฉrieur d’un groupe de personnes, et n’ont pas vocation ร devenir publics, d’autre part, que les opinions exprimรฉes par la salariรฉe n’ont aucune incidence sur son emploi ou ses relations avec les usagers ou ses collรจgues et qu’il n’est pas รฉtabli qu’ils auraient รฉtรฉ connus en dehors du cadre privรฉ.ย
Harcรจlement
Ce qu’il faut retenir
Le comportement ร connotation sexuelle dโun salariรฉ ayant effectuรฉ une carriรจre irrรฉprochable rend impossible son maintien dans lโentreprise, mais ne le prive pas de son droit ร recevoir un bonus
Cass. soc. 13 mars 2024 nยฐ22-20.970
Le cas dรฉtaillรฉ
Un cadre est licenciรฉ pour faute grave pour des faits de harcรจlement sexuel (envoi de messages et de propositions ร connotation sexuelle ร des subordonnรฉes, crรฉant une situation intimidante ou offensante). Lโemployeur en se basant sur lโarticle L.511-84 du Code Monรฉtaire et Financier (CMF), refuse de lui verser son bonus au motif quโil a manquรฉ ร ses obligations dโhonorabilitรฉ.
Le salariรฉ conteste en justice son licenciement et rรฉclame le versement de son bonus.
Saisie en pourvoi, la Cour de cassation rejette la contestation de son licenciement par le salariรฉ et valide la faute grave en raison des faits de harcรจlement sexuel รฉtablis, et ce mรชme si ce salariรฉ รฉtait un excellent collaborateur nโayant subi aucun reproche tout au long de sa longue collaboration.
En revanche, La Cour de cassation lui donne raison concernant sa demande de rappel de bonus. Dโune part, les rรจgles dโhonorabilitรฉ auxquelles le CMF fait rรฉfรฉrence sโentendentย de rรจgles professionnellesย en lien direct et รฉtroitย avec lโactivitรฉ professionnelle dโinvestissement ร risques.
Dโautre part, le caractรจre inappropriรฉ du salariรฉ ne caractรฉrise pas le dรฉfaut de respect des exigences dโhonorabilitรฉ prรฉvu par les dispositions lรฉgales ni le comportement professionnel ร risque allรฉguรฉ.
Inaptitude
Ce qu’il faut retenir
Le licenciement dโun salariรฉ, inapte ร son poste, qui refuse un emploi ร mi-temps impliquant une diminution de sa rรฉmunรฉration, est justifiรฉ
Cass.soc. 13 mars 2024, nยฐ22-18.758
Le cas dรฉtaillรฉ
ร lโissue dโun arrรชt maladie, le mรฉdecin du travail dรฉclare une salariรฉe inapte ร son poste de travail et ร tout poste ร temps complet, demandant la possibilitรฉ dโun poste ร mi-temps sans station debout prolongรฉe ni manutention manuelle de charges.
Aprรจs consultation des reprรฉsentants du personnel, lโemployeur adresse une proposition de reclassement ร la salariรฉe, dans un poste de caissiรจre ร mi-temps, validรฉ par le mรฉdecin du travail, que la salariรฉe refuse en raison de la perte substantielle de salaire qu’entraรฎnerait l’acceptation du poste.
Lโemployeur procรจde ร un licenciement pour inaptitude de la salariรฉe que cette derniรจre conteste.
La Cour dโappel, estimant lรฉgitime le refus de la salariรฉe, lui donne raison.
La Cour de cassation casse lโarrรชt dโappel et adopte le raisonnement suivant :
- Le refus lรฉgitime opposรฉ par la salariรฉe au poste proposรฉ ne libรจre pas lโemployeur de son obligation de reclassement.
- Conformรฉment aux dispositions de lโarticle L. 1226-2 du Code du travail, lโemployeur doit proposer dโautres offres de reclassement, ou รฉtablir quโil ne dispose dโaucun poste compatible avec lโinaptitude du salariรฉ.
- Cependant lorsque lโemploi est proposรฉ dans les conditions prรฉvus ร lโarticle L 1266-2 du Code du travail, et conforme aux prรฉconisations du mรฉdecin du travail, lโobligation de reclassement est rรฉputรฉe satisfaite.
En consรฉquence, le licenciement pour inaptitude de la salariรฉe, qui avait refusรฉ un poste ร mi-temps, conforme aux prรฉconisations du mรฉdecin du travail, au motif quโil entraรฎne une baisse de salaire que la salariรฉe pouvait pourtant lรฉgitimement refuser, nโest donc pas dรฉpourvu de cause rรฉelle et sรฉrieuse.
Durรฉe du travail
Ce qu’il faut retenir
Le simple fait de rester disponible durant son temps de voyage ne constitue pas du temps de travail effectif.
Cass.soc. 13 mars 2024, nยฐ22-11.708
Le cas dรฉtaillรฉ
Un salariรฉ rรฉclame un rappel de salaire au titre des heures supplรฉmentaires quโil estime avoir accomplies, et fournit des attestations mentionnant que durant ses dรฉplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs durant ses dรฉplacements ร lโรฉtranger.
La Cour dโappel donne raison au salariรฉ, considรฉrant que le salariรฉ restait en permanence ร la disposition de son employeur de sorte que son temps de dรฉplacement constituait du travail effectif justifiant le paiement dโheures supplรฉmentaires.
La Cour de cassation casse et annule lโarrรชt dโappel et fait droit ร la demande de lโemployeur. ร lโappui de sa dรฉcision, elle retient que le fait que le salariรฉ reste joignable ne suffit pas ร satisfaire aux critรจres qui dรฉfinissent le travail effectif.ย
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Je participeIl est nรฉcessaire que le salariรฉ dรฉmontre รฉgalement quโil se tenait ร la disposition de lโemployeur et se conformait ร ses directives sans pouvoir vaquer ร des occupations personnelles.