Depuis le début confinement, les abus en matière de droit du travail se sont multipliés : travail pendant le chômage partiel, refus de télétravail aux salariés, pression sur les salariés pour venir travailler malgré des mesures d’hygiène insuffisantes ou inexistantes… Etc. Un certain nombre de dispositions légales semblent avoir été « oubliées » par certains employeurs.
Nous nous proposons d’évoquer les abus les plus souvent rencontrés durant cette crise du Coronavirus tout en vous livrant les différentes sanctions que votre entreprise pourrait encourir.
Quelles sont les erreurs les plus fréquentes depuis le début de la crise sanitaire ?
1. Faire travailler les salariés en activité partielle
A la date du 1er mai, plus de 13 millions de salariés ont été mis au chômage partiel par leurs entreprises. Parmi ces entreprises, certaines d’entre elles ont utilisé ce dispositif tout en demandant à leurs employés de travailler à distance.
Or, en aucun cas, un salarié mis au chômage partiel par son employeur ne peut se voir imposer de travailler sur son lieu de travail ou à distance. En effet, l’activité partielle entraînant la suspension du contrat de travail, elle est incompatible avec le télétravail.
Faire travailler un salarié en activité partielle est donc illégal. Le salarié a le droit de s’y opposer. Les salariés, ainsi que les représentants du personnel sont fondés à signaler à la DIRECCTE tout manquement à ces règles.
A noter : la même interdiction s’applique aux salariés en arrêt de travail pour garder leurs enfants pendant la fermeture des établissements scolaires.
Que risquez vous en cas de fraude?
Cette fraude est lourdement sanctionnée. En cas de non respect de cette obligation légale, vous risquez:
- Le remboursement intégral des sommes perçues au titre de l’activité partielle
- L’interdiction de bénéficier, pendant une durée maximale de 5 ans, d’aides publiques en matière d’emploi ou de formation professionnelle.
- 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (art .441-6 C.pénal)
2. Placer les salariés en chômage partiel rétroactif
Il est illégal de placer rétroactivement en activité partielle des salariés ayant travaillé à plein temps sur la période considérée.
Le seul cas où l’activité partielle peut être mise en place de manière rétroactive, est le cas où, pendant la période considérée, le salarié a travaillé à temps partiel ou a été totalement privé d’activité.
Cette mesure résulte d’un communiqué de presse du Ministère de Travail, publié le 16.03.2020 indiquant qu’il était donné aux entreprises, 30 jours pour déclarer auprès de la DIRECCTE leur activité partielle avec effet rétroactif.
Lire également:
- Imposer des congés: quelles sont les règles ?
- Refus de congés de l’employeur: quelles sont les règles ?
- Alcool au travail: que dit la loi ?
3. Forcer les salariés à venir travailler sur le lieu de travail malgré la possibilité de télétravailler
Les exemples sont multiples où des employeurs ont forcé leurs salariés à venir travailler sur le lieu de travail en leur refusant le télétravail même quand celui-ci était possible.
Pourtant, depuis le début de l’épidémie du coronavirus, toutes les entreprises ont été fortement encouragées à mettre en place le télétravail pour tous leurs salariés. La fermeture des écoles, depuis le 16 mars, n’a fait que renforcer cette nécessité.
D’ailleurs, l’article L1222-11 du Code du Travail modifié par ordonnance en septembre 2017 dispose qu’en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».
En conséquence, en cette période de pandémie, l’employeur peut parfaitement décider de placer ses salariés en télétravail.
Pouvez vous néanmoins refuser le télétravail à vos salariés ?
Interrogée sur cette question, la ministre du Travail a indiqué que, “dans le contexte actuel, les entreprises sont obligées d’accepter que tous ceux qui peuvent travailler en télétravail le fassent. Hormis les activités ne pouvant absolument pas s’exercer par télétravail, et celles qui sont indispensables à la survie sociale et économique du pays, tout emploi doit être occupé à distance pendant la pandémie. Si le salarié fait la demande expresse de télétravailler, et dès lors que sa fonction et son équipement lui permettent d’exercer son métier depuis son domicile, l’employeur n’a pas le droit de lui refuser. Il s’agit d’un “droit automatique” du salarié.“
Légalement, cependant, si le salarié souhaite télétravailler, il doit impérativement obtenir l’accord de l’employeur. Ce dernier peut le lui refuser. Mais, depuis l’Ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, le Code du Travail impose à l’employeur, qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié remplissant les conditions pour en bénéficier, de motiver son refus.
Cependant, compte tenu de la situation sanitaire actuelle, il est recommandé à l’employeur de réfléchir aux conséquences qu’un refus aurait en termes d’obligation de sécurité.
4. Ne pas prendre de mesures de prévention suffisantes
Des salariés qui déplorent l’absence de gants et de masques mis à leur disposition, des conducteurs d’autocars non désinfectés…..
Pendant la période de confinement, les salariés qui continuent à se rendre sur leur lieu de travail sont pour certains confrontés à des conditions de travail qui ne sont pas conformes concernant les mesures de protection requises pour leur sécurité.
Or, le Code du travail prévoit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires « pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des travailleurs » (article L. 4121-1).
Par ailleurs, une situation d’épidémie impose une vigilance accrue dans l’intérêt des salariés et des entreprises.
A ce titre, l’employeur est fondé à prendre des dispositions plus contraignantes pour assurer la protection de la santé du personnel après évaluation du risque de contagion dans l’entreprise.
C’est pourquoi, pour les activités ne pouvant absolument pas s’exercer par télétravail, et celles qui sont indispensables à la survie sociale et économique du pays, l’employeur doit garantir plus particulièrement la sécurité des salariés en repensant l’organisation du travail:
- fournir du gel hydro alcoolique, des gants et des masques
- faire respecter scrupuleusement les règles de distanciation et les gestes barrière
- limiter au strict nécessaire les regroupements de salariés et les réunions en présentiel
- annuler ou reporter les déplacements non indispensables
- mettre en place, si besoin, la rotation des équipes….
5. Imposer des congés payés aux salariés en l’absence d’accord de branche ou d’entreprise signé
En l’absence d’accord de branche ou d’entreprise l’y autorisant, l’employeur ne peut pas imposer au salarié la prise de congés payés.
Il peut seulement modifier des dates de congés que le salarié avait déjà posés et doit respecter un délai de prévenance de 4 semaines. Par exemple, si le salarié avait planifié ses vacances d’été, l’employeur peut décaler ces dates et les placer en avril ou mai.
En revanche, mais à condition que cela soit prévu par un accord d’entreprise ou de branche, l’employeur pourra imposer la prise de congés payés ou modifier les dates d’un congé déjà posé, mais dans la limite de 6 jours ouvrables maximum (soit une semaine de congés payés) en respectant un délai de préavis d’un jour franc.
Il pourra par exemple imposer au salarié 6 jours de congés payés pendant le confinement ou “annuler” jusqu’à une semaine des vacances de juillet du salarié et la remplacer par des jours de repos pendant le confinement.
Ces nouvelles règles en matière de prise de congés ont été instaurées par l’ordonnance du 25 mars 2020 prise à titre exceptionnel, dans le contexte de la crise du Covid-19.
Lire également:
- Règlement intérieur d’entreprise: quand faut-il le mettre en place ?
- Avertissement de travail: quelle est la procédure ?
- Insubordination en entreprise: comment réagir ?
6. Faire signer au salarié une décharge de responsabilité
Certains employeurs font signer des décharges de responsabilité aux salariés pour s’exonérer de leur responsabilité en cas de contamination et éviter ainsi d’être traînés en justice par un salarié qui tomberait malade. Ces documents n’ont aucune valeur juridique et sont totalement illégaux .
Le droit d’agir en justice est un droit fondamental de la personne, on ne peut pas y renoncer et par aucun moyen. Un salarié pourra toujours aller en justice pour exercer une action contre son employeur, si malheureusement il était contaminé par le Covid-19.
De plus, ces décharges seraient dangereuses pour l’employeur car elles prouveraient, en cas de contentieux, que ce dernier avait conscience du danger.
Quel risques encourez vous pour ces abus ?
Vous heurter au droit de retrait du salarié
Le salarié peut exercer son droit de retrait « de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ». (Art. L.4131-1 C. Trav.)
Autrement dit, le salarié pourra donc légitimement exercer son droit de retrait si une menace, à court terme, est susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à son intégrité physique.
Webinaire BDESE : répondez à vos obligations grâce à BDESE online
Pour vous, la BDESE est un sujet fastidieux et chronophage ? Alors ce webinaire est fait pour vous ! RDV en ligne le 12 décembre à 11h30 avec notre partenaire les Editions Tissot pour poser toutes vos questions sur la création de votre BDESE grâce à leur solution BDESE online. Vous n'êtes pas disponible ? Inscrivez-vous tout de même pour recevoir le replay du webinaire.
S’inscrire gratuitementCe droit permet au salarié de ne pas travailler tout en restant payé !
Certes, ce retrait ne doit pas être abusif. S’il l’était, le salarié s’exposerait à une retenue sur salaire, une sanction disciplinaire voire un licenciement si le droit est exercé sans raisons légales (santé et sécurité) valables.
Cependant, compte tenu du confinement actuel et des incertitudes concernant l’après confinement, le simple fait d’avoir le sentiment d’être en danger en se rendant dans la rue ou dans les transports en commun, pourrait justifier le droit de retrait.
Plus encore, si l’employeur s’oppose au télétravail ou ne met en place aucune mesure de prévention et de protection supplémentaire face au risque viral, ou des mesures insuffisantes, il est très probable que le salarié ait un motif raisonnable de penser qu’il encourt un danger justifiant légitimement l’exercice de son droit de retrait.
Est-il possible de s’opposer au droit de retrait d’un salarié ?
Des salariés travaillant dans des banques, des entrepôts, des chantiers ou des sociétés de livraison font état de pressions de leurs employeurs pour les empêcher d’exercer leur droit de retrait, les menaçant d’une retenue sur leur salaire ou de ne pas être payés.
Ces procédés sont illégaux et l’employeur risque des sanctions pénales.
Dénonciation par les salariés de ces pratiques illégales auprès des syndicats et de la Direccte
Les salariés sont fondés à dénoncer des pratiques illégales auprès des syndicats et de la Direccte.
Saisine du juge des référés
Pendant le confinement et dans l’après-confinement, tout représentant de salariés ou tout salarié qui doit se rendre à son travail et dont les conditions de travail ne sont pas conformes aux règles de sécurité peut saisir le juge des référés pour que ce dernier ordonne à l’ employeur de prendre des mesures protectrices suffisantes face au risque d’épidémie.
Ainsi, par décision en date du 14 avril 2020, le Tribunal Judiciaire de Nanterre, statuant en référé a sanctionné l’entreprise Amazon France, au motif que cette dernière « a méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. »
Lire également:
- Temps de pause au travail: quelles sont les règles ?
- Tenue vestimentaire au travail: que dit le code du Travail ?
- Mise à pied disciplinaire: quelle est la procédure ?
Mise en cause de la responsabilité civile en cas d’infection sur le lieu de travail
En cas d’infection sur le lieu de travail, les salariés pourront invoquer la responsabilité civile des employeurs et demander réparation de leurs préjudices corporels.
Par exemple, si un employeur fait venir le salarié dans l’entreprise alors que le télétravail est possible et qu’il y a contamination sur le lieu de travail, l’infection sera qualifiée de maladie professionnelle. L’employeur pourra être considéré comme n’ayant pas pris toutes les précautions et sa faute inexcusable pourra être engagée.
A la clé pour l’employeur, des indemnités de préjudices corporels qui peuvent être très lourdes et une possible mise en cause au pénal.
La plainte pénale
L’employeur négligent pourrait faire l’objet d’une plainte pénale visant l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui.
Trois conditions sont nécessaires pour caractériser ce délit de mise en danger.
- la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
- la violation doit avoir exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
- Enfin, la violation porteuse de risque pour autrui doit être manifestement délibérée.
Il semble que cette infraction soit applicable à certaines situations où les salariés seraient contraints de travailler sans mesures de protection.
Si le parquet décide de poursuivre l’auteur de l’infraction, le salarié victime pourra se constituer partie civile devant le Tribunal correctionnel et demander de lourds dommages et intérêts.