La liberté d’expression est un droit essentiel pour tous les individus ; il contribue non seulement au développement de ces derniers, à celui de la société, mais il permet aussi de promouvoir et de protéger d’autres droits fondamentaux.
Cette liberté a également toute sa place en entreprise.
Quels sont les principes de la liberté d’expression au sein des entreprises et comment protège-t-elle les salariés ? Quelles sont les limites à la liberté d’expression ? Comment cette liberté trouve-t-elle application dans le contexte actuel de multiplication grandissante des réseaux sociaux ?
La liberté d’expression : le principe
La liberté d’expression : une liberté fondamentale
La liberté d’expression est reconnue comme étant une liberté fondamentale. Elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et a également une valeur constitutionnelle. Au niveau européen, la liberté d’expression est garantie par la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Cette reconnaissance lui confère une valeur certaine, qui a été utilisée par la Cour de cassation pour juger la nullité d’un licenciement prononcé en violation de ce droit, sous réserve que son utilisation ne soit pas abusive.
Les deux formes de liberté d’expression des salariés
La liberté d’expression des salariés peut prendre deux formes distinctes.
La première est prévue par l’article L.2281-1 du Code du travail : « Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. L’accès de chacun au droit d’expression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques sans que l’exercice de ce droit ne puisse méconnaître les droits et obligations des salariés dans l’entreprise ».
Ce droit s’exerce sur le lieu et pendant le temps de travail, dans un objectif d’amélioration de leurs conditions de travail, de l’organisation et de la qualité de la production de l’entreprise.
La seconde forme est défendue et définie par la jurisprudence de la Cour de cassation qui accorde aux salariés une liberté d’expression plus large, même en dehors des murs de l’entreprise. Cette liberté est limitée, puisqu’elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise.
Comme toute liberté fondamentale, il ne peut être apporté à la liberté d’expression que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
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La liberté d’expression en pratique
Le salarié a donc la possibilité de s’exprimer librement, de donner son avis, de critiquer son employeur, que cela soit au sein de l’entreprise, mais également à l’extérieur. Il a également le droit de signaler des conduites illicites qu’il a constatées sur son lieu de travail : des faits de harcèlement moral, sexuel, de fraude, de discrimination, etc.
Le licenciement d’un salarié ayant exercé de façon non abusive sa liberté d’expression est donc nul, et le salarié réintégré. Il faut également préciser que les témoins de harcèlement moral et/ou sexuel, ainsi que les lanceurs d’alerte, bénéficient d’une protection particulière.
Mais attention, cette liberté n’est pas totale et a ses limites.
Les limites à la liberté d’expression
L’abus de l’utilisation de la liberté d’expression d’un salarié peut justifier une sanction disciplinaire à son égard. La jurisprudence affine au fur et à mesure sa position sur le sujet, en définissant quels propos constituent un abus de liberté d’expression préjudiciable à l’entreprise ou non.
L’usage abusif de la liberté d’expression
La liberté d’expression du salarié a ses limites. Les juges peuvent reconnaitre un usage abusif de la liberté d’expression du salarié, et notamment en cas de propos :
- Injurieux ou grossiers : c’est par exemple le cas lorsque le salarié a tenu des propos particulièrement insultants et injurieux lors d’une visite de l’entreprise pendant son arrêt de travail. Il avait alors dénigré les services et les salariés, les propos ayant été entendus par un grand nombre de salariés (Chambre sociale, 25 juin 2002, n° 00-44.001).
- Excessifs : c’est le cas de critiques véhémentes, virulentes, tenues par un salarié à un important client au sujet de la qualité du travail et de l’incompétence des salariés de l’entreprise et de ses dirigeants (Chambre sociale, 25 janv. 2000, n° V 97-43.577).
- Diffamatoires : des propos publics et diffamatoires accusant l’actionnaire majoritaire d’actions malhonnêtes, sans aucun fondement (Chambre sociale, 28 janv. 2016, n° 14-28.242).
- Violant l’obligation de confidentialité : Dans un arrêt de 2020, il a été reproché à un chef de projet dans le domaine du prêt à porter d’avoir publié sur son compte privé Facebook, mais ouvert à des professionnels de son secteur, une photographie de la future collection encore confidentielle. Il avait ainsi violé la clause de confidentialité signée dans son contrat de travail (Chambre sociale, 30 septembre 2020, n° 19-12058).
Dans ces exemples d’abus de la liberté d’expression de la part des salariés, le licenciement de ces derniers a été confirmé par la Cour de cassation.
Reste à préciser que la jurisprudence est plus sévère envers les cadres et autres représentants de l’entreprise. Ils ont un devoir de réserve et de loyauté plus important que les autres salariés. Leur liberté de parole sera donc envisagée par les juges sous un angle plus strict.
Quelle limite pour les plaisanteries ?
Les plaisanteries peuvent faire polémique, surtout lorsqu’elles concernent certains sujets. Dans un arrêt du 20 avril 2022 (Chambre sociale, 20 avril 2022, n° 20-10852 FSB), la Cour de cassation a validé le licenciement d’un animateur d’un jeu télévisé ayant publiquement fait une plaisanterie concernant les violences faites aux femmes.
L’animateur s’est alors défendu devant les juridictions en évoquant la liberté d’expression. Mais la Haute juridiction ne l’a pas entendu de cette manière et a considéré que ces propos constituaient une banalisation des violences à l’égard des femmes, dans un contexte où le mouvement #metoo prenait de l’ampleur.
Le licenciement ne constituait donc pas une atteinte excessive à la liberté d’expression de l’animateur, compte tenu également de l’image de l’employeur ternie par la diffusion de ces propos.
Quelle application de la liberté d’expression aux réseaux sociaux ?
La multiplication des réseaux sociaux sur Internet pose de nouvelles problématiques quant à la liberté d’expression des salariés.
Sont-ils libres de tout dire sur les réseaux sociaux ? Ces réseaux sont-ils considérés comme étant une sphère privée ou une sphère publique ? La simple mention d’un « j’aime » peut-il justifier un licenciement ?
C’est à ces questions que la jurisprudence a commencé à répondre ces dernières années.
Le caractère public des publications
Le caractère public ou privé des publications ou propos litigieux est étudié par les juridictions pour établir ou non un abus dans l’usage de la liberté d’expression du salarié. L’employeur ne pourrait pas sanctionner des propos tenus dans un cadre privé.
Dans un arrêt de 2013 (Chambre civile, 1re ch., 10 avril 2013, n° 11-19530), la Cour de cassation s’est attachée au paramétrage du compte sur les réseaux sociaux (Facebook en l’espèce) pour déterminer si les propos avaient un caractère privé ou public.
Dans cet arrêt, il est jugé que des propos diffusés sur des comptes ouverts par le salarié, mais accessibles uniquement aux personnes qu’il avait agréées, en nombre restreint et formant une communauté d’intérêts, n’avaient pas de caractère public. Les propos du salarié n’étaient donc pas condamnables.
À l’inverse, une publication sur un compte public, ou ouvert à un grand nombre de personnes pourrait être reconnue comme abusive. Il en est de même si la session du salarié est ouverte sur un ordinateur de l’entreprise et rend les conversations visibles de tous.
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L’expression des opinions des salariés sur les réseaux sociaux
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est intervenue en matière de liberté d’expression concernant une salariée ressortissante Turque (employée du ministère de l’éducation nationale turque) qui avait ajouté des mentions « J’aime » à des contenus accusant des professeurs d’actes délictuels, et accusant des hommes politiques de l’État.
La CEDH (2e sect., Melike c/ Turquie, 15 juin 2021, n° 35786/19) a condamné la Turquie pour violation de la liberté d’expression de cette salariée, considérant que les motifs du licenciement n’étaient pas « pertinents et suffisants ».
Le partage d’un contenu ou encore la rédaction d’un billet ou d’un post n’ont, quant à eux, pas la même valeur. Ils expriment une volonté active de diffusion publique, la solution de la CEDH aurait certainement été différente dans ces situations.
La publication de photos sur les réseaux sociaux
Dans un arrêt du 23 juin 2021 (Chambre sociale, 23 juin 2021, n° 19-21651 D), la Cour de cassation a étudié la situation d’un directeur d’un foyer pour adultes handicapés ayant publié sur sa page Facebook, ouverte à tous, une photographie de lui dénudé et agenouillé dans une église.
La photographie avait un caractère artistique. Faute d’expression injurieuse, diffamatoire ou excessive à l’encontre de l’employeur, la Cour de cassation n’a alors pas retenu l’abus de la liberté d’expression.
Conclusion
Aujourd’hui, la grande majorité des salariés ont un compte Facebook, LinkedIn, Instagram ou sur d’autres réseaux sociaux. Ces réseaux lèvent les barrières de communication de leurs utilisateurs, et les propos qui y sont tenus peuvent rapidement déraper.
Ainsi, la jurisprudence définit progressivement les limites acceptables ou non à l’expression des salariés, afin de caractériser ce qui constitue un abus qui pourrait nuire à l’entreprise, mais tout en préservant la liberté d’expression, essentielle, des salariés.