Actualités jurisprudentielles juillet – août 2024

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Pour cette rentrée 2024, nous vous présentons une sélection de quelques décisions intéressantes rendues durant l'été : bonne lecture !

Auteur / Autrice

Juriste droit social, consultante et rédactrice juridique et RH

Sommaire de l'article

La trêve estivale prenant fin, nous reprenons le fil de nos actualités jurisprudentielles pour vous présenter quelques décisions récentes de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Modification de la rémunération du salarié, période d’essai après plusieurs CDD, organisation de la visite médicale de reprise, harcèlement moral et recevabilité d’un mode de preuve déloyal, formalisme de renonciation d’une clause de non-concurrence, harcèlement moral et pouvoir d’agir en justice d’un syndicat : tour d’horizon de l’actualité jurisprudentielle de cette rentrée.

Rémunération 

Cass. soc., 19 juin 2024, n° 22-23.143

Ce qu’il faut retenir

Lorsqu’un salarié refuse la modification de son contrat de travail résultant des préconisations du médecin du travail, il peut prétendre au maintien de son salaire jusqu’à la rupture du contrat. 

Le cas détaillé

Après une période de suspension de son contrat de travail, une salariée à plein temps victime d’un accident du travail, est déclarée, par le médecin du travail, apte sur un poste à temps partiel, entraînant une diminution de salaire. 

La salariée refuse cette modification de son contrat de travail ainsi que l’avenant proposé par l’employeur et ne reprend pas son travail. 

Son contrat de travail est rompu. La salariée conteste cette rupture et sollicite un rappel de salaire à temps plein sur la période entre la proposition de l’avenant modifiant son temps de travail et la fin de son contrat. 

La Cour d’appel la déboute de ses demandes : si la salariée pouvait refuser de signer l’avenant de passage à temps partiel proposé, elle ne pouvait pour autant bénéficier d’une reprise du paiement d’un salaire à temps plein. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle qu’à l’issue d’une période de suspension du contrat de travail, un salarié doit retrouver son emploi ou un emploi similaire et une rémunération au moins équivalente.  L’employeur ne pouvait donc pas imposer à la salariée la modification de son contrat de travail, ni procéder à une diminution de sa rémunération sans son accord.  La salariée pouvait donc solliciter le paiement de son salaire à temps plein même en l’absence de travail effectif. 

Période d’essai 

Cass. soc., 19 juin 2024, n° 23-10.783

Ce qu’il faut retenir

Lorsque, à l’issue d’un ou de plusieurs CDD, la relation de travail se poursuit par un CDI sur un même emploi, la durée de ces contrats s’impute sur la période d’essai éventuellement prévue au CDI, peu importe que les CDD aient été espacés de courtes périodes.

Le cas détaillé

Une salariée effectue 3 CDD non successifs, en remplacement de salariés absents. A l’issue de ces CDD, elle est embauchée dans le cadre d’un CDI avec une période d’essai de 2 mois, durant laquelle l’employeur lui notifie la rupture. 

La salariée saisit les Prud’hommes et sollicite la requalification de ses CDD en CDI, la nullité de la rupture de sa période d’essai et l’octroi de dommages et intérêts. 

Les juges d’appel la déboutent de ses demandes au motif que ses CDD ne se sont pas effectués de façon continue. 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle que la durée du contrat de travail à durée déterminée est déduite de la période d’essai éventuellement prévue dans le nouveau contrat de travail. 

Selon elle, bien que les différents CDD soient séparés par des périodes d’interruption, aucune discontinuité fonctionnelle ne peut être établie.

Elle en déduit, en l’espèce, que la même relation de travail s’est poursuivie avec l’employeur depuis le 1er CDD et que la durée des trois CDD doit donc être déduite de la période d’essai, et ce, même si la salariée n’occupait pas le même emploi ou ne travaillait pas dans le même service durant ces CDD.

Organisation de la visite médicale de reprise

Cass. Soc., 3 juillet 2024, n°23-13.784

Ce qu’il faut retenir

L’employeur doit organiser la visite médicale de reprise dès qu’il a connaissance de la date de la fin de l’arrêt.

Le cas détaillé

Un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail. En effet, bien qu’il ait avisé l’employeur de la fin de son arrêt de travail et demandé à plusieurs reprises l’organisation d’une visite médicale de reprise, ce dernier n’a pas organisé cette visite médicale de reprise et lui a demandé de reprendre préalablement son emploi. 

Les juges d’appel repoussent la demande du salarié au motif que l’employeur a, certes, l’obligation d’organiser une visite médicale de reprise, mais  pas obligatoirement avant la reprise du travail alors que le salarié ne manifeste pas clairement sa volonté de reprendre le travail. 


La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle , qu’en vertu d’une application stricte de l’article R.4624-31 du code du travail, dès lors que le salarié informe l’employeur de la fin de son arrêt de travail et demande l’organisation de la visite de reprise, l’employeur est tenu de l’organiser.

Cet arrêt apporte une nouvelle illustration des modalités d’organisation de la visite médicale de reprise.

En effet, jusqu’à présent, le juge recherchait si le salarié manifestait ou avait l’intention de manifester sa volonté de reprendre le travail.

Désormais, l’initiative de la saisine du médecin du travail appartient normalement à l’employeur, dès que le salarié qui remplit les conditions pour bénéficier de cet examen, en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu’il y soit procédé.

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Recevabilité d’un mode de preuve déloyal

Cass.soc. 10 juillet 2024 n°23-14.900

Ce qu’il faut retenir

La production d’un enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur pour prouver des faits de harcèlement est admise dès lors qu’il est  indispensable à l’exercice du droit à la preuve et qu’il ne porte pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux de la partie adverse. 

Le cas détaillé

Une salariée licenciée soutient avoir été victime de harcèlement moral et saisit le Conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement. Elle produit, en soutien de ses affirmations, un enregistrement de son employeur, effectué à son insu lors d’un entretien ,  afin d’établir l’existence d’agissements répétés constitutifs de harcèlement moral pour lui faire accepter la signature d’une rupture conventionnelle. 

Les juges d’appel écartent des débats l’enregistrement litigieux au motif qu’il est contraire au principe de loyauté dans l’administration de la preuve et que la salariée disposait d’autres moyens de preuve.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle et réaffirme les principes fondamentaux en matière de preuve d’un harcèlement moral :

1. Une preuve obtenue de manière déloyale peut être produite dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.

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2. La preuve de harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié, mais sur l’employeur à qui il incombe de prouver que les agissements incriminés ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que la décision prise est justifiée par des faits objectifs étrangers à tout harcèlement. 

 3. C’est aux juges d’apprécier le caractère indispensable de l’enregistrement contesté et le caractère strictement proportionné de l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur 

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation concernant les enregistrements clandestins ( Cass. Ass. Plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648 et 21-11.330) et apporte des précisions importantes sur les modalités de la preuve en matière de harcèlement moral.

Clause de non concurrence

Cass.soc. 3 juil 2024 n° 22-17.452 

Ce qu’il faut retenir

L’irrespect du formalisme de renonciation d’une clause de non-concurrence fait échec à sa validité.

Le cas détaillé

Un salarié est engagé dans le cadre d’un contrat comportant une période d’essai de 6 mois et une clause de non-concurrence. Il est précisé que la renonciation de cette clause doit intervenir  » par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai de quinze jours maximum après la notification de la rupture du contrat de travail ». 

L’employeur met fin à la période d’essai après l’expiration de celle-ci, puis, quelques jours plus tard, renonce, par mail, à appliquer la clause de non concurrence. 

Le salarié saisit les Prud’hommes puis la Cour d’appel en requalification de cette rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour obtenir le versement de sommes liées, notamment, à la clause de non concurrence et aux congés payés. Ces derniers font droit aux demandes du salarié. 

Saisie, La Cour de cassation est amenée, d’une part, à se prononcer sur la validité de la renonciation à la clause de non concurrence par l’employeur, effectuée par courriel, alors que la clause prévoit une renonciation par LRAR. 

La Cour tranche, rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel qui a considéré la renonciation à la clause invalide, faute d’avoir appliqué la forme prévue au contrat. 

Cet arrêt constitue un rappel pour les employeurs concernant l’impérativité du formalisme conventionnel de la renonciation à une clause de non-concurrence qui s’impose aux parties. En effet, la forme utilisée pour avertir le salarié de la renonciation à cette clause de non concurrence doit être strictement respectée. À défaut, la clause s’applique et la contrepartie financière est entièrement due, ce qui, en l’espèce, est la solution retenue par la Cour de cassation. 

D’autre part, la Cour rappelle que, lorsque l’employeur rompt la période d’essai après l’expiration de celle-ci, la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les motifs énoncés par l’employeur dans la lettre de rupture.

Harcèlement moral

Cass.soc. 10 juillet 2024, n°22-22.803

Ce qu’il faut retenir

En cas de harcèlement moral d’un salarié, en lien avec ses fonctions représentatives et syndicales, les syndicats disposent d’une action en justice en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.

Le cas détaillé


Un salarié invoque l’existence d’un harcèlement moral dans le cadre de l’exécution de son contrat et saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes.  Un syndicat national intervient volontairement à l’instance. Quelques temps plus tard, le salarié est désigné à des fonctions représentatives et syndicales et soutient que le harcèlement moral dont il est victime s’était accentué après la prise de ses fonctions.  

La cour d’appel constate que les faits allégués par le salarié au soutien de sa demande au titre d’un harcèlement moral est en lien avec son mandat et juge le syndicat recevable en son action en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession. L’employeur est condamné à lui verser une somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.

L’employeur se pourvoit en cassation et soutient que le constat d’une situation de harcèlement moral au préjudice d’un salarié ne porte pas atteinte à l’intérêt collectif de la profession. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Selon elle, lorsque les éléments invoqués par un salarié titulaire d’un mandat syndical ou représentatif laissent supposer un harcèlement moral sont en lien avec l’exercice des fonctions syndicales ou représentatives de ce salarié, un syndicat est recevable à agir en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.

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