Pour ce mois de mai, nous vous proposons une actualité jurisprudentielle variée autour d’arrêts centrés sur des sujets aussi divers que la responsabilité de l’employeur en cas de préjudice d’anxiété lié à l’amiante, la différence de traitement salarial fondé sur le lien familial, la question de savoir si un changement de fonction constitue une modification du contrat de travail, la date de renonciation à une clause de non-concurrence, et plusieurs autres arrêts que nous vous invitons à découvrir avec nous.
Bonne lecture!
Amiante et préjudice d’anxiété en cas de transfert d’entreprise
Cass.soc. 29 avril 2025 n°23-20.501
Ce qu’il faut retenir
Le préjudice d’anxiété est lié à la connaissance du risque par le salarié, et, suite à un transfert d’entreprise, le cédant ne peut pas être tenu responsable des condamnations si cette connaissance est postérieure au transfert.
Le cas détaillé
Un salarié ayant travaillé dans la même usine, mais successivement pour plusieurs sociétés, pendant plus de 30 ans, saisit la juridiction prud’homale, en indemnisation d’un préjudice d’anxiété lié à l’amiante et au bouleversement subi dans ses conditions d’existence.
Le conseil des prud’hommes ainsi que la Cour d’appel donnent raison au salarié et condamnent l’ancien employeur, sur le fondement d’une responsabilité solidaire pour les dettes nées avant le transfert, à garantir 90 % des condamnations prononcées contre le nouvel employeur.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle, conformément aux articles L 1224-1 et L 1224-2 du Code du travail, qu’en cas de transfert d’entreprise, seul le nouvel employeur est tenu des obligations nées de la poursuite du contrat de travail, sauf collusion frauduleuse.
Elle rappelle également que le préjudice d’anxiété ne naît pas de l’exposition en elle-même, mais de la conscience, par le salarié, du risque élevé de développer une pathologie grave liée à l’amiante.
Or, en l’espèce, le salarié n’avait pas encore conscience du danger au moment du transfert de son contrat, et ce n’est qu’après cette date, que le risque a été connu. Par conséquent, juridiquement, le préjudice est né postérieurement au transfert et relève exclusivement de la responsabilité de l’employeur en fonction à cette date.
Discrimination salariale
Cass.soc. 9 avril 2025, n°23-14.016
Ce qu’il faut retenir
Une différence de traitement salarial fondée sur le lien familial constitue une mesure discriminatoire.
Le cas détaillé
Une assistante parlementaire est licenciée suite au non renouvellement du mandat du député pour lequel elle travaille. Elle saisit le Conseil de prud’hommes de diverses demandes, notamment salariales, et invoque une différence de traitement et une discrimination.
En effet, la salariée invoque une différence de traitement salariale avec une autre assistante parlementaire, l’épouse de l’employeur, alors qu’elles exercent toutes les deux les mêmes missions professionnelles et que la première dispose d’une formation juridique et a exercé les fonctions d’avocat, alors que sa collègue ne possède aucun diplôme particulier.
Les juges du fond considèrent que la différence de traitement entre les deux salariées ne repose sur aucun élément objectif et, qu’au contraire, cette différence est exclusivement fondée sur un critère familial, visé par l’article L. 1132-1 du Code du travail relatif au principe de non-discrimination. Ils condamnent l’employeur au paiement d’un rappel de salaire ainsi que des dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie.
L’employeur se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et juge que l’inégalité de traitement repose sur un motif discriminatoire tenant à la situation de famille, « dès lors que l’employeur entendait justifier la différence de traitement en matière de rémunération entre la salariée et la salariée de comparaison par la qualité d’épouse de cette dernière ».
Autrement dit, la qualité d’épouse d’une collaboratrice ne peut pas justifier une différence de traitement salariale en sa faveur.
Modification du contrat de travail
Cass.soc 2 avril 2025, n°23-23.783
Ce qu’il faut retenir
Confier à un salarié des tâches différentes, mais correspondant à sa qualification, ne constitue pas une modification de son contrat de travail.
Le cas détaillé
Un employeur affecte un salarié à un nouveau poste comportant des tâches similaires à son ancien poste. Le salarié considère que l’employeur a modifié son contrat de travail sans son accord et prend acte de la rupture de ce contrat.
La Cour d’appel constate que le nouveau poste est similaire au précédent, qu’il est situé dans la même zone géographique et que le salarié ne perd pas ses responsabilités. Elle juge donc que le changement de fonction ne constitue pas une modification du contrat travail du salarié et rejette sa demande.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et rappelle le principe selon lequel l’employeur, de par son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d’un salarié et le fait que la tâche qui lui est donnée soit différente de celle qu’il exécutait précédemment, dès lors qu’elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail.
Le salarié ne peut donc pas s’opposer à la réalisation de cette nouvelle tâche et la demande de résiliation judiciaire, tout comme la prise d’acte, fondée sur cette modification n’est pas justifiée.
Renonciation à la clause de non-concurrence
Cass. soc., 29 avr. 2025, n°23-22.191
Ce qu’il faut retenir
La renonciation à une clause de non-concurrence doit intervenir au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l’entreprise, et ce nonobstant toute stipulation contractuelle contraire.
Le cas détaillé
Un salarié est licencié suite à l’avis d’inaptitude et impossibilité de tout reclassement prononcés par le médecin du travail.
L’employeur renonce à la clause de non-concurrence douze jours après la notification du licenciement, soit dans le délai de vingt jours prévu au contrat. Il estime donc ne pas être redevable de la contrepartie financière attachée à la clause.
Le salarié, s’estimant lésé, saisit les juges du Conseil des prud’hommes.
Ces derniers ainsi que les juges de la Cour d’appel, considérant comme tardive la renonciation de l’employeur, donne raison au salarié.
La Cour de cassation confirme la décision d’appel et rappelle :
D’une part, qu’en cas de rupture avec dispense ou impossibilité d’exécution d’un préavis par le salarié, la date de départ effectif constitue le point de référence unique pour :
- Déterminer le point de départ de l’obligation de non-concurrence.
- Fixer la date d’exigibilité de la contrepartie financière.
- Déterminer la période de référence pour le calcul de cette indemnité.
D’autre part, qu’en cas de licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, le préavis n’est pas exécuté et la rupture intervient à la date de notification du licenciement. (C. trav., art. L. 1226-4, al. 3)
Il en résulte que la renonciation à la clause de non-concurrence doit impérativement intervenir à ce moment précis, date du départ effectif du salarié de l’entreprise, le salarié ne pouvant être laissé dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de travailler.
Or, en l’espèce, la clause n’avait été levée qu’à l’occasion de la remise du certificat de travail, soit postérieurement à la rupture.
L’employeur a donc été condamné à payer la contrepartie financière.
Période d’essai
Cass.soc. 29 avril 2025, n°23-22.389
Ce qu’il faut retenir
La période d’essai n’est pas valable si l’employeur a déjà pu apprécier les compétences professionnelles du salarié, quelle qu’en soit la forme.
Le cas détaillé
Après avoir collaboré pendant 10 mois en qualité de travailleur indépendant avec une société, une commerciale conclut avec cette société un contrat de travail assorti d’une période d’essai de deux mois.
L’employeur met fin à la période d’essai avant l’issue des deux mois.
La salarié saisit la juridiction prud’homale pour demander l’annulation de la mention d’une période d’essai dans le contrat de travail et la condamnation de la société au paiement de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
Au soutien de ses demandes, la salariée fait valoir qu’elle exerçait les mêmes fonctions pour le même employeur en tant qu’indépendante, et donc que ses compétences avaient déjà été évaluées.
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Je téléchargeLa Cour d’appel rejette la demande de la salarié et juge que le recours à une période d’essai dans le contrat de travail est valable, puisque la salariée n’a jamais été salariée auparavant dans cette entreprise et que l’employeur n’avait donc pas pu apprécier ses compétences dans ce cadre.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle que la période d’essai doit avoir une finalité réelle et n’est pas valable si l’employeur a déjà pu apprécier les compétences professionnelles du salarié, quelle qu’en soit la forme.
Autrement dit, il n’est pas interdit de prévoir une période d’essai alors que le salarié a déjà travaillé auparavant pour l’entreprise si et seulement si l’employeur n’a pas eu l’occasion d’apprécier les aptitudes professionnelles de la salariée lors de la précédente relation de travail, quelle qu’en soit la forme.
Ce qui compte, c’est la réalité de la relation de travail et les fonctions exercées et non la qualification du contrat antérieur.
Licenciement pour faute grave
CA Lyon 21 mars 2025, n° 22/02424
Ce qu’il faut retenir
Le licenciement pour faute grave doit être apprécié en fonction du contexte général de travail et les manquements de l’employeur peuvent atténuer la gravité d’un comportement fautif.
Le cas détaillé
Un salarié est licencié pour faute grave pour avoir tenu des propos injurieux à l’égard de plusieurs membres de l’entreprise, dont son directeur technique, et ralenti volontairement son rythme de travail.
Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Lyon rejette la qualification de faute grave. Elle rappelle que la faute doit être appréciée en tenant compte du contexte dans lequel elle est commise.
Or, en l’espèce, elle constate que l’attitude du salarié, bien que répréhensible, s’inscrit dans un climat de tension lié au non-respect des obligations légales par l’employeur. En effet :
- Le salarié effectuait des heures supplémentaires non payées.
- Les durées maximales de travail n’étaient pas respectées.
- Des modifications d’horaires lui étaient imposées sans respecter le délai légal de prévenance.
Tenant compte des manquements de l’employeur à ses obligations, la Cour d’Appel juge le comportement du salarié fautif, mais pas suffisamment grave pour justifier un licenciement pour faute grave, rompant le contrat de travail immédiatement et sans indemnités.
En l’espèce, le licenciement pour faute grave est donc requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Preuve des heures supplémentaires
Cass.soc. 29 avril 2025, n°24-11.432
Ce qu’il faut retenir
La charge de la preuve des heures supplémentaires ne repose pas entièrement sur le salarié.
Le cas détaillé
Un salarié, voulant obtenir le paiement d’heures supplémentaires, saisit la juridiction prud’homale et produit, à l’appui de sa demande, un rapport établi par un cabinet d’expertise comptable détaillant, mois par mois, les heures supplémentaires revendiquées, sans cependant préciser ses horaires de travail quotidiens et hebdomadaires.
La cour d’appel déboute le salarié de sa demande au motif que le document n’est pas assez précis et ne permet pas à l’employeur d’y répondre.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui, selon elle, revient à faire peser la charge de la preuve des heures supplémentaires sur le seul salarié. Or, la règle est qu’il incombe à l’employeur d’assurer un suivi fiable du temps de travail et qu’en cas de litige, c’est à lui de contester, avec ses propres éléments, les prétentions du salarié.
En l’espèce, les éléments apportés par le salarié concernant les heures non rémunérées qu’il affirme avoir effectuées, sont jugés suffisamment précis, et c’est donc à l’employeur d’y répondre en produisant ses propres éléments.
Respect du temps de travail et du temps de repos
Cass.soc. 2 avril, n°23-23-614
Ce qu’il faut retenir
Le dépassement de la durée maximale de travail et le non respect du droit au repos qui en résulte ouvrent, à eux seuls, droit à réparation.
Le cas détaillé
Un salarié, soumis à un forfait annuel en jours, prend acte de la rupture de son contrat de travail et demande des dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de respect des temps de repos quotidien.
La Cour d’appel rejette la demande du salarié au motif qu’il n’apporte pas la preuve d’un préjudice dû à ce manquement.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et rappelle le principe selon lequel le dépassement de la durée maximale de travail et le non-respect du droit au repos qui en résulte ouvrent droit, pour le salarié, à des dommages-intérêts, sans qu’il lui soit nécessaire de démontrer un préjudice.