Or, leur nombre explose. D’après les données de la DARES, plus de 110 procédures de PSE ont été initiées rien qu’au quatrième trimestre 2023 : c’est 70% de plus qu’en 2022. Même constat pour les procédures de licenciements collectifs hors PSE qui ont bondi de plus de 60% en un an.
Dans ce contexte, comment se préserver soi en tant que DRH ? Et comment accompagner ses équipes ?
Dans cet article, Blandine Langlois (DRH groupe Les Echos-Le Parisien), Emeline Bourgoin (ex-DRH d’ING) et Sylvie Chauvin (psychologue chez moka.care et ex-DRH du Figaro Classifieds) partagent quelques conseils pratiques pour garder son cap.
L’impact des réorganisations sur la charge émotionnelle des DRH
Une réorganisation crée un climat d’incertitude et parfois de conflit qui impacte tous les collaborateurs de l’entreprise et peut être difficile à vivre.
Dans ce contexte, Blandine Langlois compare le DRH à “un funambule qui doit garder son équilibre malgré des attentes et besoins souvent contradictoires entre les dirigeants et les équipes.”
Si on liste quelques-uns de ces enjeux, on retrouve notamment la volonté d’accompagner et d’outiller :
- les collaborateurs qui partent ;
- les collaborateurs qui restent, également, qui font parfois face à un sentiment d’imposture, ou à une appréhension d’une augmentation de leur charge de travail ;
- les managers, qui doivent relayer des annonces parfois difficiles et faire face à la frustration voire la colère de leurs équipes, tout en étant eux-mêmes potentiellement impactés ;
- le top management, qui doit prendre des décisions difficiles, qui peuvent créer des conflits entre leurs valeurs et leurs aspirations et ce qu’il faut mettre en place pour la survie de l’entreprise ;
- les élus au CSE et les délégués syndicaux, qui sont parties prenantes des négociations dans le cadre d’un plan de licenciement notamment et n’en ont pas forcément l’expérience.
Face à ces situations, les RH sont souvent exposés à des situations personnelles délicates, et aux émotions, souvent négatives, que peuvent traverser les salariés et managers.
A cela s’ajoutent :
- une charge de travail élevée pour dessiner les contours du plan et le mettre en œuvre ;
- un sentiment de solitude sur toute la partie technique de la réorganisation ;
- un sentiment de dissonance parfois aussi qui s’installe, dans le cas par exemple où on est obligé de licencier une équipe qu’on a soi-même recrutée ;
- un stress accru et une difficulté à prendre des décisions et communiquer face aux “injonctions contradictoires” qui émanent parfois de la direction.
Les périodes de réorganisation et de transformation sont donc généralement synonymes d’une charge émotionnelle qui s’intensifie pour les équipes RH.
Se préserver en tant que DRH : 5 clés pour gérer la charge émotionnelle
Dans un tel environnement, il est nécessaire de savoir accueillir et gérer son propre stress et ses propres émotions. D’autant que, comme le rappelle Emeline Bourgoin, ex-DRH d’ING, une réorganisation est un long processus, dont chaque phase comporte des enjeux particuliers :
- communiquer l’annonce auprès des équipes et réussir à embarquer les syndicats et les représentants du personnel dès le début pour éviter qu’un climat conflictuel ne s’instaure ;
- mettre en œuvre le plan et accompagner au quotidien l’ensemble des collaborateurs ;
- en aval, réengager les équipes et reconstruire les bases d’une organisation saine.
Face à une réorganisation, il faut pouvoir tenir la distance, ne pas s’oublier. Sylvie Chauvin, psychologue référente chez moka.care, utilise l’image du masque à oxygène dans les avions pour illustrer cela :
“Au décollage d’un avion, on nous répète qu’en cas de dépressurisation de l’appareil, il faut d’abord appliquer le masque à oxygène sur soi avant d’aider les autres à mettre les leurs. Logique, dans ce contexte. Le raisonnement est le même : en tant que DRH ou en tant que manager, je dois penser à me préserver moi-même, pour être en capacité d’accompagner mon équipe.”
Comment ?
Voici les 5 clés que conseillent Emeline Bourgoin et Blandine Langlois :
- bloquer régulièrement des temps pour soi : réserver, dans son agenda, des temps de respiration au moins une fois par semaine (faire une activité, du sport, écouter une méditation ou pratiquer un exercice de cohérence cardiaque).
- rester attentif à ses constantes et revenir aux basiques : s’auto-monitorer en restant alerte aux signaux de fatigue qu’ils soient physiques (fatigue, boule au ventre), cognitifs (difficultés de concentration, perte de mémoire), émotionnels (irritabilité, être à fleur de peau ou au contraire indifférent à tout), ou comportementaux (nouvelles addictions, par exemple). Si certains signaux perdurent, se recentrer sur les fondamentaux (le sommeil, l’alimentation, la respiration) permet de reprendre pied.
- mettre en place une stratégie des alliés : les alliés sont les personnes auprès de qui on va facilement pouvoir décharger ses émotions, ses frustrations. On peut à la fois identifier des alliés en interne (un collègue avec qui vous vous sentez à l’aise pour parler, qui est à l’écoute, ou qui sait particulièrement vous redonner de l’énergie), ou en externe (son entourage, ses amis).
- se faire accompagner par des experts : sur la partie technique et professionnelle, en appartenant à un club de DRH ou en se constituant un réseau de mentors avec lesquels partager ses problématiques RH ; sur la partie individuelle et mentale également, avec un coach, un thérapeute ou un psychologue. C’est ce que facilite une solution comme moka.care avec son accompagnement psychologique et son club RH Take.care Connect.
- accepter son émotion : Blandine Langlois, qui a vécu plusieurs réorganisations, le formule ainsi : “Plutôt que de voir les émotions négatives que je vivais en période de réorganisation comme une faiblesse ou un frein pour accomplir mon travail, j’ai décidé de les considérer finalement comme quelque chose de presque rassurant. Je suis rassurée de voir que je suis touchée par la situation, de sentir que, dans la tourmente, je ne perds pas mon empathie. Je sais que cette empathie est aussi le pendant de l’énergie qui me donne envie de bien faire mon métier au quotidien.”
Apprendre à déjouer les “injonctions paradoxales” et retrouver son pouvoir d’agir
Dans un contexte de réorganisation ou de transformation, la multiplication de ce qu’on appelle les “injonctions paradoxales” ou “doubles contraintes” génère un sentiment d’impuissance chez les RH et limite leur pouvoir d’agir.
“Faites en sorte que les employés restent motivés pendant le plan. Evitez les drames”,
“Prenez des initiatives…mais ne dérogez pas aux règles.”,
“Soyez transparents dans la communication, mais évitez de créer de l’anxiété”
Selon Gregory Bateson, à l’origine de ce concept, les injonctions paradoxales créent un schéma de communication qui “barre la possibilité de faire un choix”. Le problème des injonctions paradoxales, c’est qu’il n’y a pas de juste milieu : elles donnent le sentiment que, quelle que soit la voie que l’on choisit, on se retrouve perdant.
Or, comme le souligne Sylvie Chauvin, “lorsqu’elles sont récurrentes, les injonctions paradoxales peuvent générer du stress et paralyser la prise de décision.” Elle nous propose une méthode en 4 étapes pour sortir du schéma de l’injonction paradoxale :
- Identifier les injonctions paradoxales en faisant une pause “méta” : il s’agit d’analyser la situation ou la demande comme si c’était un film, comme si on y était extérieur et de vérifier qu’il s’agit bien d’une injonction paradoxale (et non pas d’un défi ou d’une situation complexe). Pour qu’il y ait injonction paradoxale, il faut qu’il y ait à la fois : une contradiction dans la demande, une impossible réponse, et une menace de punition ou une absence de récompense. En reconnaissant qu’aucune solution à ce stade ne peut cocher toutes les cases, on a déjà fait le premier pas pour mettre des mots sur le problème.
- Documenter le caractère contradictoire des injonctions : si je fais le plan A, il va se passer cela ; si je fais le plan B, il va se passer cela. Je peux aussi expliquer pourquoi je pense qu’il vaudrait mieux choisir telle ou telle option ; ou me demander s’il y a une troisième voie possible.
- Clarifier les attentes : je prends le temps de me demander quelles sont les attentes des différentes parties prenantes de la situation, et quel besoin se trouve à l’origine de ses attentes
- Engager le dialogue : je planifie un entretien avec mon manager ou mes dirigeants pour trouver ensemble des solutions, ou peut-être s’accorder sur l’attente qui est la plus “prioritaire” et à laquelle il faut répondre.
Promouvoir une culture d’entreprise qui favorise le bien-être des employés, même en période de changement organisationnel
Accompagner et préserver les équipes pendant la période de transition est clé pour pouvoir reconstruire une organisation saine après la réorganisation.
Emeline Bourgoin nous partage quelques initiatives clés qu’elle a mises en œuvre dans l’entreprise pendant le plan :
- Accompagner les équipes : À l’annonce du plan, elle raconte que son premier réflexe a été de négocier du budget pour pouvoir accompagner les employés, à la fois sur la dimension professionnelle (via cabinet de replacement) et sur la dimension psychologique (via une ligne d’écoute psychologique, par exemple).
- Se faire coacher et faire coacher les managers et les dirigeants : Les objectifs : aider chacun à titre individuel à se positionner, savoir favoriser le dialogue, gérer des conflits ou de la frustration dans son équipe, apprendre à renforcer la sécurité psychologique dans son équipe.
- Créer des espaces de dialogue : les réorganisations créent des frustrations, des émotions négatives, et c’est bien normal. Il faut veiller à ce qu’elles puissent s’exprimer, en animant des espaces de paroles collectifs, via un séminaire, ou dans les échanges réguliers entre managers et managés.
- Continuer à célébrer les petites victoires : il est important de ne pas tomber dans l’austérité pour maintenir la motivation et l’engagement de ceux qui restent, de conserver des moments de cohésion, une vie d’équipe.
En résumé, se préserver en période de réorganisation demande aux DRH de : mettre en place ou maintenir une bonne hygiène mentale pour mieux gérer leur charge émotionnelle, s’entourer d’experts et d’alliés sur la partie technique, managériale et psychologique, maintenir une communication fluide pour trouver des solutions en équipe aux situations complexes, soutenir ses équipes, en proposant un accompagnement externe et en créant des espaces de paroles ouverts. Ce sont aussi ces initiatives qui permettront de renforcer l’engagement et la sécurité psychologique dans la nouvelle organisation. |
Nous espérons que ces conseils vous permettront d’aborder plus sereinement la phase de transition que rencontre votre entreprise. Si vous souhaitez être accompagnés sur le sujet, n’hésitez pas à contacter les équipes de moka.care.