En ce mois de septembre, nous vous proposons une veille jurisprudentielle capitale qui comporte, notamment, pas moins de deux revirements de jurisprudence, un nouveau cas d’indemnisation automatique du salarié, la réponse du Conseil constitutionnel à plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité et d’autres arrêts également importants.
Bonne lecture.
Revirement de jurisprudence : reconnaissance du droit au report des congés payés en cas de maladie survenant pendant ces congés
Cass.soc. 10 septembre 2025, n° 23-22.732
Ce qu’il faut retenir
Un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a droit à ce qu’ils soient reportés à condition d’avoir notifié à son employeur cet arrêt.
Le cas détaillé
Une salariée tombe malade pendant ses congés annuels. Après son départ à la retraite, elle saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir le report des jours perdus. La Cour d’appel fait droit à sa demande, ce que l’employeur conteste devant la Cour de cassation.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et reconnaît que lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés payés, les jours coïncidant avec l’arrêt de travail doivent être reportés, à condition que l’arrêt maladie ait été régulièrement notifié à l’employeur.
Cette décision constitue un revirement de jurisprudence majeur en matière de congés payés, qui met fin à une jurisprudence constante depuis 1996 et qui permet au droit français de se conformer à la directive européenne 2003/88/CE et de s’aligner sur la jurisprudence de la CJUE sur ce sujet.
Congés payés et heures supplémentaires : revirement du jurisprudence
Cass.soc. 10 septembre 2025, n°23-22.732
Ce qu’il faut retenir
Lorsque le temps de travail est décompté à la semaine, les congés payés sont désormais pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Le cas détaillé
Un salarié conteste le calcul de ses heures supplémentaires.
Selon l’employeur, les congés payés n’ont pas à être intégrés dans la durée du travail ouvrant droit à majoration. Il soutient que pour pouvoir bénéficier du paiement d’heures supplémentaires, le salarié devait avoir travaillé plus de 35 heures « effectives » sur la semaine considérée.
En effet, selon lui, lorsque le temps de travail est décompté à la semaine, le salarié ne peut pas prétendre au paiement d’heures supplémentaires pour la semaine au cours de laquelle il a posé un jour de congé payé. Concrètement, seules les heures effectivement travaillées entrent dans le décompte, les absences pour congés étant neutralisées.
Le salarié soutient au contraire que les périodes de congés payés, assimilées par la loi à du temps de travail effectif (article L. 3141-5 du Code du travail), doivent déclencher le paiement d’heures supplémentaires dès lors que le seuil hebdomadaire de 35 heures est franchi.
Le litige est porté devant la juridiction prud’homale puis la Cour d’appel, qui donne raison à l’employeur.
Le salarié se pourvoit en cassation.
La cassation casse l’arrêt d’appel et s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne qui considère qu’une règle ou une pratique qui dissuade un salarié de prendre ses congés payés est contraire à l’objectif du droit au congé annuel payé, en particulier lorsqu’elle engendre un désavantage financier pour le salarié.
Désormais, pour les salariés soumis à un décompte hebdomadaire du temps de travail, le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires doit prendre en compte les jours de congés payés. Cela signifie que lorsqu’un salarié prend un jour de congé payé au cours d’une semaine et que son travail effectif aurait dépassé les 35 heures si ce congé n’avait pas été pris, il peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires.
Discrimination syndicale
Cass.soc. 10 septembre 2025, n°23-21 .124
Ce qu’il faut retenir
Le seul constat de l’existence d’une discrimination syndicale ouvre droit à la réparation du préjudice du salarié.
Le cas détaillé
Un salarié, investi d’un mandat de délégué du personnel, est déclaré inapte à son poste de travail.
Saisi par l’employeur d’une demande d’autorisation de licenciement du salarié pour inaptitude, l’inspecteur du travail rend une décision de refus d’autorisation.
Après l’expiration de la période de protection attachée à son mandat, le salarié est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement et sollicite notamment des dommages-intérêts pour licenciement nul et pour discrimination syndicale.
Saisie à son tour, la Cour d’appel constate qu’en effet, la discrimination alléguée par le salarié est caractérisée. Pourtant, elle déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, aux motifs que le salarié n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice et que la satisfaction d’avoir été jugé victime de discrimination suffit à réparer le préjudice allégué.
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Je lance mon diagnosticLa Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en s’appuyant sur les articles ,d’ordre public ,L. 2141-5 à L.2141-7 du Code du travail qui interdisent à un employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions.
Toute mesure prise par l’employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts.
Il en résulte que, contrairement au principe selon lequel la victime doit prouver le préjudice qu’elle a subi pour obtenir réparation, la victime d’une discrimination syndicale établie subit nécessairement un préjudice qui doit automatiquement être indemnisé.
Entretien préalable au licenciement pour motif personnel ou à une sanction disciplinaire et droit de se taire
QPC n°2025-1160, 2025-1161 et 2025-1162
Ce qu’il faut retenir
Selon le Conseil constitutionnel, il n’y a aucune obligation d’informer le salarié sur le droit de se taire lors de l’entretien préalable.
Le cas détaillé
Le 20 juin 2025, le Conseil constitutionnel est saisi à la fois par la Cour de cassation et par le Conseil d’État de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui concernent la conformité à la Constitution des articles L.1232-3 et L.1332-2 du Code du travail, relatifs au déroulement de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou à une sanction disciplinaire.
Des requérants soutenaient que les dispositions de ces articles du Code du travail violaient l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’elles ne prévoyaient pas que le salarié soit informé de son droit de se taire.
Dans sa décision du 19 septembre 2025, le Conseil constitutionnel considère que :
- Le licenciement pour motif personnel ou la sanction disciplinaire décidé par un employeur ne constitue pas une punition au sens de l’article 9 de la Déclaration de 1789.
- Ces dispositions relèvent d’une relation de droit privé et ne traduisent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique.
- En conséquence, l’employeur n’est pas tenu d’informer le salarié de son droit de se taire lors de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou à une sanction disciplinaire.
Les dispositions contestées ont donc été déclarées conformes à la Constitution.
Preuve de l’origine professionnelle d’une maladie
Cass.soc.10 septembre 2025, n°23-19.841
Ce qu’il faut retenir
La prise en charge d’une affection au titre de la législation sur les maladies professionnelles ne constitue pas, à elle seule, la preuve de l’origine professionnelle de la maladie.
C’est au salarié qui invoque l’origine professionnelle de sa maladie d’en rapporter la preuve.
Le cas détaillé
Un salarié, exerçant les fonctions de conditionneur, est placé en arrêt de travail pendant presque 3 ans.
Durant cette période, pour obtenir la protection attachée aux victimes de maladies professionnelles, il dépose une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une rhinite récidivante due à l’inhalation de poussières de papier.
À son retour d’arrêt de travail, lors de l’examen médical de reprise, le médecin du travail le déclare inapte à son poste.
La CPAM fait droit à sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle et fixe la date de départ de cette maladie professionnelle.
La Société conteste cette décision de prise en charge devant la Commission de Recours Amiable, qui lui donne raison et déclare cette décision de reconnaissance inopposable à la Société.
Par la suite, la Société notifie au salarié son licenciement pour inaptitude physique d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Soutenant que l’inaptitude a pour origine la maladie professionnelle, le salarié saisit la juridiction prud’homale puis la Cour d’appel de demandes en paiement des indemnités afférentes.
La Cour d’appel le déboute de ses demandes.
Le salarié forme alors un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel et fait valoir qu’il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de caractère professionnel de la maladie.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle, sur le fondement de l’article L.461-1 du Code de la Sécurité sociale, que l’inopposabilité de la décision de CPAM n’empêche pas le salarié d’invoquer l’origine professionnelle, mais c’est à lui d’en rapporter la preuve.
Elle confirme qu’un salarié ne peut bénéficier de la protection attachée aux victimes de maladies professionnelles, que s’il établit que son inaptitude a pour origine une maladie professionnelle dont l’employeur connaissait l’existence au moment du licenciement.
En l’espèce, les juges ont constaté que le salarié n’a présenté aucun symptôme avant son arrêt de travail, que la pathologie de rhinite allergique ne correspond pas au tableau des maladies professionnelles et qu’aucun élément ne démontre un lien direct entre la rhinite allergique et le travail habituel du salarié.
Faute de preuve d’une maladie professionnelle, le salarié ne peut donc pas se voir appliquer la protection légale liée à l’inaptitude d’origine professionnelle.
Licenciement et liberté religieuse
Cass.soc 10 septembre 2025, n°23-22.722
Ce qu’il faut retenir
Le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire en raison de faits relevant, dans la vie personnelle d’un salarié, de l’exercice de sa liberté de religion, est discriminatoire et encourt donc la nullité.
Le cas détaillé
Une salariée, d’une association de protection de l’enfance, est licenciée pour faute pour avoir remis une bible à une mineure prise en charge par l’association à qui elle avait rendu visite à l’hôpital. Or, le préambule du règlement intérieur de l’association imposait aux salariés des obligations de neutralité, de réserve et de respect de la dignité des personnes accueillies.
Cette visite s’est déroulée en dehors du temps, du lieu de travail et des fonctions professionnelles de la salariée.
Par le passé, son employeur avait déjà sanctionné la salariée en prononçant un avertissement, puis une mise à pied de trois jours notamment pour avoir remis des bibles à des jeunes mineures résidentes et chanté des chants religieux pendant son travail.
Dans la lettre de licenciement, l’employeur indique expressément que la rupture du contrat de travail n’est pas motivée par les convictions religieuses de la salariée ou leur expression, mais par son comportement prosélyte qui s’était manifesté par des actes (remises de bibles) et des propos « de nature à imposer à des mineurs vulnérables sa religion, sans tenir compte de leur liberté d’embrasser ou non une religion et notamment une autre religion que la sienne ».
La Cour d’appel ayant validé son licenciement, la salariée se pourvoit en cassation en invoquant la nullité du licenciement comme discriminatoire puisque fondé sur l’exercice de ses libertés d’expression et religieuse.
La Cour de cassation casse l’arrêt après avoir rappelé que, de manière constante, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, que les discriminations en raison des convictions religieuses sont interdites et que tout acte contraire est nul.
Elle relève que les faits étaient intervenus en dehors du temps et du lieu du travail de la salariée, et qu’ils ne relevaient pas de l’exercice de ses fonctions professionnelles.
Elle juge donc que le licenciement disciplinaire prononcé en raison de faits relevant, dans la vie personnelle de la salariée, de l’exercice de sa liberté de religion était discriminatoire et par là, nul.
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