Par Jérôme Crest, CEO cofondateur de Holivia
Rien ne se perd, tout se transforme
Pour la plupart des salariés, les relations humaines au travail n’ont rien de secondaires : elles nourrissent la motivation et l’engagement, l’émulation et l’attachement, la performance et le plaisir.
La généralisation du télétravail, on le sait, n’a pas été sans conséquences sur ces relations, et donc sur le bien-être et la santé mentale des salariés. Mais plutôt que de parler de « perte » du lien social, il faudrait peut-être plutôt parler de dégradation, voire même de transformation.
Car ce que nous avons perdu, nous ne l’avons pas vraiment perdu. Les collègues sont toujours là, les réunions aussi, la pause-déjeuner, la machine à café, les afterwork, les séances de team building, etc. Certes, on se voit moins qu’avant : mais si c’est pour mieux se voir ?
Confrontées à cette nouvelle organisation du travail, les entreprises ont cherché à maintenir le lien entre les collaborateurs, qu’ils soient chez eux ou au bureau, à faire en sorte que ces derniers n’échangent pas un meilleur équilibre vie pro/ vie privée contre une dégradation des conditions de leur vie professionnelle.
Aussi a-t-on cherché des palliatifs, notamment grâce aux outils numériques, et voulu multiplier les interactions – à distance comme en présentiel – pour combler la diminution du temps passé ensemble. Ce qui nous amène au constat paradoxal selon lequel nous n’avons jamais été aussi connectés les uns aux autres et déconnectés les uns des autres.
Les défis d’un nouveau paradigme
Peut-être ce nouveau paradigme qui s’est imposé à nous exige-t-il une nouvelle manière de tisser le lien social, et donc de réfléchir à la nature de nos interactions professionnelles, à la manière de vivre et travailler ensemble.
Si de nombreux salariés éprouvent un sentiment accru d’isolement malgré l’éventail de moyens de communication mis à leur disposition, ou s’ils se sentent moins proches de leurs collègues qu’auparavant, c’est sans doute qu’il faut changer d’approche.
D’autant que les conséquences d’un lien social dégradé pour les entreprises sont nombreuses et coûteuses : stress, anxiété, absentéisme, désengagement, démissions, turnover, difficultés à recruter, etc.
En quête de sens et de bien-être, les talents aspirent aujourd’hui légitimement à travailler dans un environnement psychologique sûr où prime la qualité du lien social. C’est-à-dire où les relations humaines comptent au moins autant que le reste, et sont considérées par l’entreprise comme déterminantes pour la réussite de tous et de chacun.
Cette culture de la connexion implique une volonté forte des dirigeants de s’adapter aux nouvelles conditions d’emploi ainsi qu’aux nouvelles attentes des talents pour articuler travail hybride et besoin de lien social authentique. Pas si simple, il est vrai.
De fait, la flexibilité n’a de valeur ajoutée que si les jours passés sur site rompent avec le télétravail et favorisent les espaces de communication profitables aux talents, où non seulement ces derniers socialisent, mais aussi se forment auprès de leurs collègues et managers, développant leurs compétences techniques et comportementales.
La qualité du temps passé en présentiel est d’autant plus importante que ce temps s’est réduit : la moindre des choses est sans doute d’avoir tous les membres de son équipe ensemble sur site au moins un ou deux jours par semaine et de ne pas passer ces journées en réunion Teams.
Communiquer de façon authentique pour créer un lien fort
L’indépendance que le travail hybride a offert aux salariés a aussi généré du mal-être lié à une nouvelle forme d’isolement, voire de distanciation ; c’est pourquoi les responsables cherchent à faire contrepoids en sursollicitant leurs équipes, en s’efforçant de les faire travailler ensemble, en fixant des points fréquents pour stimuler la cohésion.
Très bien. Seulement voilà : le risque est que l’on communique plus, mais que l’on se parle moins. À trop se croiser sans se voir, on fabrique du lien social artificiel. Certes, on fait beaucoup de réunions, mais est-ce qu’on se réunit vraiment ? Et surtout : qu’est-ce qui nous réunit vraiment ? Sans doute pas les objectifs d’affaires…
C’est pourquoi il importe de créer des espaces de communication authentique, où la mission cède le pas à l’émotion, c’est à dire au ressenti (*). Ces espaces peuvent prendre la forme d’un check-in émotionnel en début de réunion (comment est-ce que je me sens, météo intérieure), d’un feedback régulier incluant un check émotionnel, de rétrospectives d’équipe où chacun partage ses problématiques, etc.
Qu’importe le flacon: il s’agit de créer des moments informels de qualité, même s’ils moins nombreux, basés sur le travail en équipe transverse et l’imprégnation de valeurs communes.
On peut encore mobiliser ses talents autour de ces valeurs en les amenant à se les approprier, voire à en redéfinir le contenu et l’essence, par le biais d’ateliers, de sondages ou de séminaires.
Voilà de quoi nourrir un lien social vrai, durable, unique, et par là même la rétention et la fidélisation à long terme. Un argument de taille pour séduire et convaincre les meilleurs talents.
*Selon une enquête de la DARES menée en 2019, « Conditions de travail – Risques psychosociaux », 27% des salariés interrogés ont déclaré devoir (toujours/ souvent) cacher leurs émotions et faire semblant d’être de bonne humeur.
A propos de l’auteur
Jérôme Crest
CEO et cofondateur de Holivia
Jérôme Crest est diplômé de l’Ecole Polytechnique et du MIT. Après 10 ans dans le secteur de l’énergie et de la logistique, et une première expérience en startup, il crée Holivia en Avril 2020 avec Imad Wakidi pour faire de la santé mentale un pilier de la performance des entreprises.
Adepte des sujets de développement personnel et émotionnel, de la psychologie positive et des thérapies cognitives et comportementales, Jérôme Crest a forgé son expertise en s’entourant d’experts reconnus dans le domaine.
Membre du board du collectif MentalTech, ce marseillais contribue à faire émerger l’écosystème de la tech dans la région Sud.